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suppliciés, le sultan Mohammed envoya un de ses émirs, Shirgir, mettre le siège devant Alamout. Celui-ci avait remporté de nombreux succès et déjà il se flattait de saisir la forteresse et Hasan, quand soudain Mohammed fut assassiné. L’émir leva le siège.

Le nouveau sultan, Sandjar, allait reprendre la lutte, mais un matin à son réveil, il vit auprès de son lit un couteau fiché dans le sol, et cette missive de Hasan : « Si je n’avais dans mon cœur de l’affection pour toi, respecté sultan, ce couteau que l’on a enfoncé dans la terre durcie eût été plongé bien plus facilement dans ton sein tendre et délicat. Quoique j’habite la cime d’un rocher, ceux qui sont tes confidents sont dans un accord intime avec moi. » Le Sultan abandonna toute entreprise contre Hasan, et accueillit ses messages.

La puissance du seigneur d’Alamout parvint alors à son apogée. Par la mort d’Ibn-Attash, il était devenu le Grand Maître officiel des assassins. Par ses succès, il avait conquis ses refuges, ses places de sûreté dans tout le royaume. Il régnait sur toutes les imaginations, au palais comme dans le menu peuple. On l’admirait, autant qu’on le craignait. Une sorte de maladie mentale avait envahi la Perse. Des milliers d’hommes, et les plus hauts personnages s’affiliaient à cette doctrine perverse,


LE JARDIN DE HASAN

Voilà les faits. Il reste à les comprendre. Il reste à s’approcher, s’il en est quelque moyen, des pensées intimes de Hasan. Ah ! si nous pouvions connaître le fond d’un tel être, et nous faire une idée du dressage humain qu’il poursuivait dans sa vie mystérieuse d’Alamout ! Alamout, le laboratoire, où ce philosophe criminel réussit à sélectionner des assassins au service de son idéal. Que de fois j’ai cherché à me représenter le lieu et ses pensées ! Chardin nous le décrit en deux traits : « Un fort château, proche de Casbin, sur une haute roche, aux bords d’un précipice… » Et de nos jours, un voyageur anglais, le colonel Monteith, l’a visité : « Nous commençâmes l’ascension d’une montagne raboteuse et escarpée, autour de laquelle courait un mur solidement bâti en pierres. Sur le sommet se distingue encore une tour, probablement destinée à servir de vigie. Sur un côté, au-dessus d’un profond ravin, il paraît y avoir eu une