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une largeur de vues, une tolérance bien éloignées du fanatisme mahométan et très propres à confirmer ce que nous admettons : que l’Ismaélisme est un des effets profonds du vieil esprit aryen opprimé par l’Islam. Et celui d’entre eux qui régnait alors au Caire, Mostansir, venait de reprendre le titre d’imâm des Ismaéliens. Il voulait rétablir le califat universel, déposséder les Abbassides. C’était pour les Ismaéliens d’Asie l’heure de lui envoyer un agent de premier ordre, tel qu’était Hasan.

Malheureusement, Mostansir était peu intelligent et très fou. Il tenait de son aïeul, Hakim le méchant, de cet extravagant qui porte sur son front dans l’histoire « un diadème affreux sentant le carnaval. » Hakim, monté sur le trône à l’âge de onze ans, est le type de ces despotes que la toute-puissance rend insensés. Il avait pris les femmes en suspicion méchante. C’est un état d’esprit assez répandu et pour l’ordinaire inoffensif, parce que ceux qui le possèdent ne peuvent pas le faire passer en acte. Mais Hakim défendit aux femmes du Caire de sortir des maisons, de monter sur les terrasses, et aux cordonniers de leur fabriquer des chaussures ; en outre, il les fit surveiller par des vieilles qui s’introduisaient dans tous les harems, et lui faisaient des rapports, d’après lesquels il multipliait, contre les plus jolies et les plus amoureuses, la peine capitale. Il soupçonna sa sœur, Sitt el-Mulk, d’être liée avec Ibn-Dawas, un de ses émirs. Ces deux amants, justement pris de peur, donnèrent mille dinars à deux esclaves pour qu’ils se missent en embuscade sur le mont Mocatam, où Hakim avait coutume de venir, la nuit, observer les astres, avec un jeune écuyer, et qu’ils les tuassent tous deux. Hakim était versé dans l’occultisme. Il savait qu’il courait un grand danger, et que s’il y échappait, il vivrait huit cents ans. Sa mère, qu’il avait mise au courant, le supplia très humblement de ne pas sortir, et, la nuit venue, versait des larmes et le retenait par le pan de sa robe. « Mais, disait ce fou pris d’angoisse, si je ne sors pas à présent, mon âme s’envolera de mon corps. » Poussé par son destin, il se dirigea vers le Mocatam avec son jeune écuyer. Les deux esclaves le tuèrent et portèrent en secret son corps à sa sœur, l’amoureuse, qui l’ensevelit dans son palais.

Il n’est pas étonnant que le petit-fils d’un tel extravagant, pour qui notre Gérard de Nerval tout naturellement professait un culte, ait mérité à son tour d’être appelé par les historiens