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de gnosticisme, de philosophie grecque, devenait très propre à réaliser une conversion générale des peuples…

Je ne vais pas vous exposer le système, à la fois religieux, philosophique, politique, social, que combina Abdallah et qu’il gradua suivant les intelligences ! Je passe ce qui m’ennuie, ce qui est mort, ce qui ne peut plus fournir de plaisir, de peine, de profit, ni même d’étonnement. À quoi servirait-il que je puise, entre mes deux mains maladroites, quelque peu de cette eau morte du lac d’oubli. Laissons ce chaos, ces siècles en poussière et ces théologies en pourriture. De tout ce que j’ai lu d’essais qui cherchent à définir les Bathiniens, les Ismaéliens (donnez-leur à votre choix l’un de leurs trente-six noms), il n’y a rien qui me satisfasse autant que ces dix lignes que voici du grand Avicenne :

« … Ils croient à l’Imâmat d’Ismaël, fils de Djafar, du nom duquel ils ont emprunté leur nom. Ils sont surnommés Sébayah (adjectif dérivé du mot seb’ ât), à cause de leur croyance à sept imams. Ils s’imaginent en effet que dans chaque période de temps il y a sept imâms, soit manifestes, et c’est alors le temps de la manifestation, soit cachés, auquel cas ce temps est nommé l’époque du mystère. Il faut de toute nécessité qu’il y ait un imâm, soit apparent, soit caché, et cela conformément à ce mot du Khalife Ali : « La terre ne sera pas dépourvue d’un homme qui se consacrera à la cause de Dieu et fera valoir ses arguments. » Ils sont encore surnommés Bathiniens, parce qu’ils prétendent que chaque chose apparente a un sens caché, et Atta’limy, parce qu’ils disent que la science s’acquiert particulièrement par les leçons des imâms. Souvent aussi ils ont été surnommés Melâhideh (pluriel de Molhid, hérétique), parce qu’ils abandonnent les sens manifestes du Koran et de la Sounna, et qu’ils expliquent allégoriquement tous les textes. Chez eux quiconque vient à mourir sans avoir connu l’imâm de son temps, et sans porter suspendu à son cou l’acte d’un serment prêté à cet imâm, est considéré comme étant mort dans l’ignorance. »

Il y avait là de quoi satisfaire les Ismaéliens, attachés à la mémoire de l’imâm Ismaël, les vieux Persans attachés au dualisme de Zoroastre, les philosophes qui vivaient d’un souvenir de la raison hellénique, les juifs, les chrétiens, les musulmans. Et par surcroit, Abdallah prétendait descendre d’Ali ! Ainsi avait-il accumulé dans sa drogue tous les ferments les plus