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que d’Omar Khayyam qui admet le dualisme de sa pensée et de sa vie.

La rupture entre Hasan et Nizam el-Mulk fut violente, implacable, définitive, une de ces haines où tout l’être est engagé. Hasan se déroba par la fuite à la vengeance de Nizam, qu’il avait vainement essayé de perdre, et que dès lors il ne cessera plus de viser comme le premier obstacle à détruire. Il n’est pas homme à se déprendre de sa vocation sur un échec. Il n’a pu satisfaire ses ambitions révolutionnaires par son ancien ami, qu’il accuse maintenant de trahison : eh bien ! sur la route de l’exil, il cherche d’autres instruments. Et par fortune, dans sa patrie, à Réï, voici qu’il rencontre les hommes qui vont décider de sa vie.

Nous tenons tout droit de sa bouche un superbe récit :

« Il y avait à Réï un homme appelé Emireh Dharrâb, qui professait la doctrine des Bathiniens d’Égypte. Nous avions continuellement des contestations, l’un avec l’autre : il réfutait les dogmes auxquels je croyais, mais je ne lui accordais pas gain de cause. Cependant ses discours firent impression sur mon cœur. Sur ces entrefaites, il me survint une maladie, très dangereuse et très pénible. Je réfléchis en moi-même et je me dis : « La doctrine de cet homme est la véritable ! mais, par suite de mon fanatisme, je ne l’ai pas reconnue comme vraie. Si donc, ce qu’à Dieu ne plaise, le terme fatal arrive pour moi en ce moment, je mourrai sans être parvenu à la connaissance de la vérité. » Je guéris de cette maladie. Il y avait parmi les Bathiniens un autre individu que l’on appelait Bou-Nedjm Serrddj (le sellier) ; je l’interrogeai touchant les dogmes de sa secte. Il me les exposa en détail, de sorte que j’obtins la connaissance des mystères les plus cachés de cette doctrine. Enfin il y avait un troisième personnage appelé Moumin, à qui Abd-Almélic Attâch avait conféré le diplôme de prédicateur. Je lui demandai de recevoir ma profession de foi. Il me répondit : « Ton rang, à toi, qui es Hasan, est plus élevé que le mien, à moi, qui suis Moumin ; comment donc recevrais-je ton engagement, c’est-à-dire comment prendrais-je de toi un serment de fidélité envers l’imâm ? » Mais quand je l’en eus vivement pressé, il reçut mon engagement. Lorsqu’en l’année 464 (1071-1072), Abd-Almélic Attâch, qui remplissait à cette époque les fonctions de Daï dans l’Iràk, fut arrivé à Réï, il daigna me prendre en affection, et me confia le rang de son