l’Université de Nichapour, toutes différences gardées, doit être comparée à ces Universités de Prague et de Cracovie où, hier encore, sous nos yeux, s’échauffaient les espoirs tchèques et polonais, aux Universités irlandaises, à l’Université d’Helsingfors où se formaient les deux pensées finlandaises des Suédois et des Finnois.
La Perse du XIe siècle était un vieux sol volcanique, invinciblement travaillé par d’antiques pensées religieuses et nationales. Sous le fer et le feu, elle avait dû renoncer à la loi du grand Zoroastre. Une première fois, dit-on, l’Avesta avait été brûlé par Alexandre le Grand, et la pensée hellénique avait tout recouvert. Ce texte souverain, reconstitué du mieux que l’on put, en l’an 226 de Jésus-Christ, par Ardéchir, qui refit l’unité de l’Empire et restaura la religion nationale, disparut lors de la conquête mahométane, et resta précieusement conservé dans les cachettes des Parsis jusqu’à ce que — merveilleuse histoire ! — notre Anquetil Duperron l’allât chercher et retrouver dans les Indes, jusqu’à ce que Nietzsche se proclamât son commentateur, son disciple. Et le dernier des Chosroès, vaincu, écrasé par Omar, s’en alla mourir à Merv où c’est l’archevêque chrétien, — ô dérision émouvante ! — qui lui fit l’aumône d’un tombeau. À tous le vainqueur imposa le joug de l’Islam.
Quel désastre pour cette race persane, qui appartient, comme les Indiens, les Grecs, les Latins et nous-mêmes, à la grande famille aryenne, d’avoir à s’accommoder de la pensée sémitique et d’une pensée contre sa nature ! Terrorisée, elle dut dire à haute voix : « Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah, » mais elle ajoutait tout bas : « si ce n’est le dieu de nos pères. » Le magisme, le gnosticisme, le brahmanisme, toutes les pensées de l’Inde, de Zoroastre et de l’hellénisme, demeuraient dans son sang, alors même qu’elle ne savait plus les nommer. Elle était prête pour tous les schismes. Ainsi s’explique son élan à se rallier au Chiisme. « Elle reporta, écrit-on sur les rejetons de cette touchante famille des Alides ses sentiments comprimés. Ils lui parurent des symboles de ses propres infortunes… Ali, laissant à Mahomet le soin de révéler aux hommes la religion littérale, s’était réservé le rôle, plus modeste, mais sublime, d’en expliquer le sens réel à quelques esprits d’élite… » En face d’un pouvoir étranger, fondé sur la force brutale, Ali incarnait le sentiment de l’espérance, la conviction que le droit et la justice finiront par triompher.