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Nizam el-Mulk (qui mourut en 1072) a écrit ce qui suit dans son Testament :

« Imâm Muaffik de Nishapur (que Dieu accueille son âme !) était un des hommes les plus savants du Khorasan, et considéré avec le plus grand respect. Il vécut plus de 85 ans, et c’était l’opinion commune que tous les jeunes hommes qui lisaient le Coran et étudiaient les Traditions avec lui, devaient arriver à la richesse et aux honneurs. Pour ce motif, mon père m’envoya de Tus à Nishapur, travailler sous la direction de cet éminent savant. à me témoignait de l’affection, et moi, je mis à le servir tant d’attachement et d’amour que je restai près de lui pendant quatre ans. Hakim Omar Khayyam et ce mécréant d’Hasan ibn Sabâh, tous deux de mon âge, remarquables tous deux par la puissance de leur intelligence, suivaient depuis peu son enseignement. Nous devînmes amis, et quand nous quittions la classe d’Imâm, nous nous répétions l’un à l’autre ce que nous venions d’entendre… »

Quelle page de roman et d’histoire ! Qu’on ne dise pas qu’il est impossible, à travers les épaisses ténèbres des sectes et des races étrangères, de participer aux sentiments des morts ! « Un coup de vent déchire les nuages, et la lune laisse tomber un pâle rayon sur le cimetière. »

Nizam el-Mulk, nous venons de le dire, c’est un des grands hommes politiques de l’Asie. Omar Khayyam, aucun lecteur n’ignore ses Rubâiyat, dont il se publie chaque semaine en Europe une nouvelle édition, et nous avons une idée de l’estime où les historiens de la science tiennent ses travaux astronomiques. Quant à Hasan Sabâh, c’est le législateur de la confrérie criminelle que fait déjà assez connaître son titre d’Ordre des Assassins.

Ces trois génies, à l’heure où mon texte les saisit et nous les présente, ne sont encore que des jeunes gens bien minces et démunis, de jeunes étudiants orientaux du XIe siècle, par bien des côtés semblables aux étudiants de toutes les époques, dans tous les pays. Leur camaraderie et l’entr’aide que, dans un instant, ils. vont se promettre, c’est un pacte balzacien, pareil à celui par lequel les « Treize » se lient, et pareil encore à ces ententes que nous voyons, dans chaque génération, des arrivistes former au quartier latin, dans des cénacles, dans des dîners de coterie. C’est plus encore, c’est un serment de carbonari. Et