ces gens-là ne savent que nous dire : il ne reste que le fait divers.
Et pourtant, ces spectres forcenés sont vivants, bien vivants. Une passion sans frein les emporte, comme ces damnés de Dante, condamnés à refaire à jamais le même geste de crime ou de volupté, qui devient leur supplice éternel. Ces créatures surnaturelles dégagent un pouvoir pathétique de fantasmagorie et d’hallucination, et ce sont les gens de chair et d’os qui ne semblent plus que des fantômes. Au milieu de leur querelle, l’ombre envahit la scène : on ne voit plus dans une lueur violente que les six spectres qui se démènent ou se lamentent, comme des figures plus qu’humaines de l’amour, de la douleur et de la haine. Brusquement, un coup de feu éclate. Le jour revient. La vision a disparu. Cependant, il y a du sang. On emporte le petit cadavre d’un enfant. Fiction ? Réalité ? On ne sait plus où on en est. Où commence l’illusion ? Où finit la nature ? Les comédiens reviennent en scène, perplexes, incertains, troublés, doutant s’ils sont les jouets d’un songe, et quelles sont les frontières de la Vie et du Rêve.
Cette fantaisie, si pleine de sens, a été mise en scène avec un relief admirable par M. Georges Pitoëff, qui tenait fougueusement dans la pièce le personnage du Père. Mme Pitoëff a très bien joué celui de la Belle-Fille. Mme Marie Kalff a composé de la Mère une belle statue que traverse un grand cri, et Mme Irma Perrot une silhouette impayable d’entremetteuse. Quant à M. Michel Simon, ce comédien qui ne joue pas, qui n’a pas l’air de dire un rôle, il a été étourdissant : c’est un artiste d’un bel avenir.
M. Pirandello n’a fait que paraître à Paris. Nous l’y reverrons certainement. Le public lui a fait fête, ébloui par tant de grâce et d’audace, par tant d’invention, par ce don de jongler avec les idées et d’animer les abstractions, par cette profondeur qu’il sait joindre à la vie, à la verve immortelle, à tout le « diable au corps » de la farce italienne. Il n’y a pas de doute qu’il soit au premier rang des auteurs dramatiques d’Europe. M. Firmin Gémier, qui vient de nous donner le beau drame de Mme Bramson, nous doit maintenant l’Henri IV de M. Pirandello.
LOUIS GILLET.