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enfantine et compliquée ; on nous montre ce que le spectateur ne. voit jamais, les dessous, ce qui se passe derrière les coulisses : et nous aurons tout le temps l’impression d’assister au travail de la création artistique, comme si nous avions sous les yeux la coupe ou la section d’un cerveau fonctionnant devant nous sous un verre. Dans ce cadre, on répète une pièce de Pirandello : les acteurs en costume de ville, les hommes en veston, les dames en chapeau ; ils seront en scène jusqu’à la fin, formant le chœur ou le public, l’humanité réelle, — une collection de fantoches et de poupées. Les réflexions, le flirt, le bavardage vont leur train. L’auteur en profite pour se faire dire les sottises qui courent sur ses ouvrages. On ne sait s’il se moque du public, du théâtre ou de lui-même. Ce début est charmant.

Tout à coup, au beau milieu de ces marionnettes, descend des hauteurs des frises, par le monte-charge des accessoires (ce détail est de l’invention de M. Pitoëff), une famille extraordinaire : on dirait une bande de revenants ou de noyés. Des figures de l’autre monde, blafardes, vêtues de noir, suspectes, agitées. En effet, ces intrus en deuil n’appartiennent pas à cette terre : ce sont des personnages d’un drame abandonné, une sorte d’enfants trouvés, des laissés pour compte de la poésie. Espèce nouvelle dans la nature. L’auteur leur a donné la vie, souffrante, incomplète, larvée. Ils existent, puisque les voilà, mais ils errent inquiets, tourmentés de leur passion intérieure qui ne s’est pas réalisée. Elles veulent vivre leur vie, ces ombres, et elles tournoient, comme une nuée qui voudrait éclater, dans les limbes de l’imagination. Elles ont rencontré un théâtre et s’y sont arrêtées, puisqu’elles sont nées pour le théâtre. Est-ce qu’on va les mettre à la porte ? Est-ce qu’on ne va pas leur permettre de remplir leur destinée ?

Alors, avec une volubilité frénétique, en criant, en gesticulant, les incroyables spectres se mettent à raconter le drame qui les obsède. Quel drame ! Jugez plutôt. Six personnes : le Père, la Mère, le Fils, la Belle-Fille et deux enfants, personnages muets. Le Père est un perverti, un dilettante de la curiosité psychologique : sa femme s’est sauvée avec un secrétaire, et le mari l’y a poussée par vice, par goût de l’analyse et de la corruption. Elle a eu de son faux ménage trois enfants. Cependant, l’amant étant mort, elle tombe dans la misère. Sa fille fréquente pour vivre une de ces maisons de modes où l’on rencontre des messieurs. Un des clients de la boutique est justement le Père. La Mère survient à temps pour lui arracher sa fille. Puis, par remords, pitié, nécessité, lâcheté, cette