maniéré de marquer sa possession. Qu’elle suive Wedel, elle est libre : mais à l’instant, Klenow se tue. Le chantage réussit, et la jeune femme intimidée reste en larmes auprès de son bourreau.
Le dernier acte est très beau. Nous sommes revenus dans le décor du premier. La pièce tourne dans un cercle, sans issue que la mort. Klenow est devenu un aveugle à cheveux blancs. Il s’attache en désespéré à la malheureuse créature dont il a fait sa proie : il l’hypnotise par la terreur et la menace de sa mort. Pour la faire souffrir, il se fait une arme de son malheur : c’est une preuve de sa puissance. Élise croit rester auprès de lui par pitié : erreur ! Elle reste, parce que l’amour de Klenow est le plus fort. Il est plus fort que l’amour d’Élise pour le sculpteur. L’amour est sans pitié. La passion fait bon marché de la lâcheté, du crime. « Va, dit l’aveugle, va retrouver ton amant : c’est ton droit, si tu passes par-dessus mon cadavre. » Il tient un pistolet : « Dis oui... Tu n’oses pas ? Ne dis rien. Ce sera plus facile. Au moment où tu franchiras la porte, je presse la détente. » Mais elle a aperçu le salut : elle saute sur l’arme et se tue.
Alors l’aveugle à genoux, avec un sentiment de triomphe, s’assure qu’elle est bien morte : il a eu, lui aussi, sa part de la beauté ; une femme s’est immolée à lui. Et, sur le corps de sa victime, il remercie son Créateur.
La pièce n’est qu’un rôle, et ce rôle est odieux. Tout est sacrifié à une figure puissante. M. Paul Reumert a joué ce rôle en grand comédien. Mlle Clervanne a montré du naturel dans le caractère peu dessiné d’Élise. M. Gémier, en père crapuleux, roublard et bon enfant, a été la joie de ce drame sévère, gauche et plein de grandeur.
J’ai eu l’occasion de signaler ici même le talent de M. Pirandello, et le cas de ce conteur qui s’est improvisé auteur dramatique à cinquante ans. Ses pièces, à la lecture, m’avaient vivement intéressé. Il restait à savoir comment elles tiendraient la scène. L’épreuve est faite désormais. La Comédie des Champs-Elysées vient de nous donner quelques représentations des Six personnages à la recherche d’un auteur. La pièce, en Italie, a soulevé des tempêtes ; on l’a traitée de pièce futuriste. Le fait est qu’elle est admirable. Le succès a été éclatant.
Dans un de ses contes les plus curieux, l’auteur a indiqué le thème. Il se suppose sollicité par un client, un certain docteur Phileno, qui n’est autre qu’un personnage raté, laissé en plan par un romancier maladroit, et qui erre en peine d’un corps. L’étrange vagabond plaide sa cause en ces termes : « Vous savez mieux que personne