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variante du type de Nietzsche. On sait que l’illustre misanthrope de Bâle était lui-même un dégénéré. Comme lui, cet avorton de Klenow professe la doctrine du Surhomme. Un démon orgueilleux habite sa machine boiteuse. Il se venge par des sarcasmes de sa difformité. Son impitoyable critique déchiquette haineusement la vieille morale d’amour, édifiant à la place la nécessité absolue, l’égoïsme sacré et la loi du plus fort. Il est célèbre et misérable. Comme beaucoup de professeurs, il s’écoute parler, et affecte en parlant un ton de persiflage ; par moments, la passion éclate et le rend éloquent. M. Reumert a parfaitement rendu ce personnage antipathique, dévoré de chagrin, de désir et d’orgueil, habitué à vivre face au public, et habile à dissimuler sous des phrases concertées ce qui rampe en lui de douleur, d’amertume et d’envie.

Le premier acte est employé à poser ce caractère, que les deux suivants se chargeront d’expliquer. Nous apprenons dès le début que le héros est menacé de perdre la vue, et qu’il a recueilli une jeune fille qu’il a trouvée un soir sur le point de se jeter à l’eau, pour fuir un père ignoble qui vivait de sa honte. Klenow l’a arrachée à la mort et au vice, il s’est intéressé à elle et s’en est fait une sorte de secrétaire. La vérité est qu’Élise est belle, et que Klenow ne peut plus se passer de sa beauté. Résolu à se tuer le jour où il sera aveugle, il demande à l’enfant de lui accorder jusqu’au soir la joie de sa présence, comptant lui laisser sa fortune en échange de ce bienfait.

D’ailleurs, Élise a peur de sa canaille de père, qui a flairé sa piste et vient la relancer. Mais Klenow se découvre un rival plus dangereux : son ami le sculpteur Wedel aime Élise et annonce qu’il » veut en faire sa femme. Brusquement, le professeur n’hésite pas à mentir : il persuade Élise que son père peut la reprendre, et elle consent à l’épouser. Cet acte fourmille d’invraisemblances. Il est bien étonnant qu’Élise, sortant d’où elle sort et ayant fait le métier qu’on sait, ne se doute pas que Klenow l’aime et fasse tant la petite bouche pour épouser le vieux magot ; il est bien étonnant que ce soit justement Klenow qui reçoive par hasard la déclaration de Wedel. Ce sont de grands artifices. Mais sans cela, pas de pièce.

Deuxième acte. Un palace sur la côte d’Azur. Le mariage est resté, bien entendu, un mariage blanc ; Klenow brûle de désir rentré et de l’horreur qu’il inspire à sa femme, qui continue de faire l’innocente. À ce moment, survient Wedel, tout prêt à enlever Élise. Klenow, pour la garder, invente une nouvelle ruse. S’il n’a pu se faire aimer d’elle, il peut au moins la torturer : c’est encore une