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à la foire de Saint-Germain-des-Prés en compagnie du bel abbé Staccatini, que la musique débauche et console, il y a presque deux siècles, nous voilà en sûreté.

La peinture de cette époque, par M. Émile Henriot, c’est la perfection charmante. Il y avait à éviter de n’être point assez « dix-huitième, » et de l’être à l’excès. Je veux dire, de l’être mal, et par des stratagèmes trop voyants. L’on devine alors que l’auteur a tout récemment pris son information chez l’antiquaire : il en est fier et comme endimanché ; il est à la fois et vaniteux et timide, souhaite de montrer ce qu’il sait, craint de se tromper, se trompe et, venant de chez l’antiquaire, il vous mène au bric-à-brac. Je ne sais rien de plus dérisoire et fâcheux que les « restitutions » ou « restaurations » du passé auxquelles se travaillent les archéologues impromptus. Mais Sylvain Dutour, lui, ne fait pas le savant. Et vous remarquerez la délicate précaution de l’auteur, qui a voulu que l’anecdote fût contée par Sylvain Dutour, non par lui-même. Il confie à Sylvain Dutour le soin de nous dépayser, puis de nous installer en plein XVIIIe siècle. Sylvain Dutour n’est point un pédagogue ni un pédant le moins du monde. Et il a son habitude à cette époque, pour nous singulière. Il ne la remarque pas. Il ne nous la montre pas. Ou plutôt il nous la montre, sans se douter qu’il est notre guide. Son discours sera tout simple. Mais ce qu’il dit suppose tout ce que nous aurions à apprendre et, ainsi, nous l’apprend, par une involontaire allusion. L’auteur ne s’avise même pas de nous avertir et ne donne pas une date. Il a rendu Sylvain Dutour un être vivant. Nul être ne vit sans que sa vie se communique à ses entours. Voilà comment Sylvain Dutour, naturellement et par la seule spontanéité de son entrain, nous mène au XVIIIe siècle et nous y loge pour le temps que dure un récit, joli temps qui ne vous dure pas.

Sylvain Dutour a bien du talent. Ses personnages, dès qu’ils entrent dans le récit, vous les voyez. Sylvain Dutour, qui vous les présente, a promptement fait leur portrait ; et, comme on devrait toujours s’y prendre, il ne les a pas obligés à poser, mais, tout au contraire, à se trémousser. Il les dessine sans les en avertir et les attrape dans leur remuement naïf. La maréchale de Lambesc, quand on amena Sylvain chez elle, était aux mains de son apothicaire : ce n’est pas la faute de Sylvain s’il ne décrit le visage de cette dame qu’un peu plus tard. Et quel visage ! d’un cheval, très haut, très long mais avec un menton. Et des moustaches ! De sorte que Sylvain douta que ce ne fût le maréchal en personne. Elle ressemblait aussi,