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C’est ravissant, d’une qualité rare et exquise, le travail d’un lettré pour qui poésie et littérature sont le chant même de l’âme et son plaisir. Quel dommage aussi que ce nonchalant, — si habile ! mais nonchalant, — ne veuille pas être plus attentif à ses rimes ! Pour sa punition, il a écrit une fois « concluai-je, » où l’on voit la rancune des Muses.

Les Aventures de Sylvain Dutour ont pour épigraphe une pensée de Restif de la Bretonne : « Les mœurs sont un collier de perles ; ôtez le nœud, tout défile. » Je ne sais pas où Restif a dit cela, qui est assez bien dit. Ce Restif était un moraliste sévère et tout de même un polisson. Ses livres sont tout pleins de libertinage, et voire de saleté. Il avait de la verve et une espèce de génie abominable, drôle et attrayant. La citation de Restif à la première page des Aventures de Sylvain Dutour est un avertissement : le livret de M. Émile Henriot, s’il ne va certes pas à l’extrémité où Restif mène son audace, admet pourtant quelque libertinage. On le lui reprochera. Ce n’est pas moi qui le lui reprocherai : ce genre de facétie, à l’imitation des conteurs du XVIIIe siècle, a quelque chose d’anodin qui désarme la censure. Ce qui gâte tout, chez Restif, c’est d’abord l’excès de la gaudriole : et, principalement, c’est l’intention morale qu’il ajoute à la rude gaudriole. Perversité de ce mélange ! Et l’honnête simplicité d’un conteur qui, ne songeant ni à venger la morale, ni seulement à l’offenser, se divertit d’une façon, je ne dis pas, la plus recommandable, mais conforme à une ancienne gaieté de chez nous et non sans politesse.

L’amusement de M. Émile Henriot, dans ce volume comme dans le Diable à l’hôtel, fut de voyager. Cette fois, il ne change pas de lieu : il demeure à Paris ; mais il change d’époque : il demeure au siècle avant-dernier. Il se dépayse, pour ainsi parler, dans le temps. Ce goût du dépaysement, c’est l’art même : le goût de sortir de chez soi, d’être « ce monsieur qui passe » et qui voyage. L’on se donne le change et l’on procure un alibi à une sensibilité que l’on a un peu trop alarmée chez elle. Un roman tel que Valentin est déjà une sortie, une promenade et un voyage. Mais une sensibilité très vive, et qui ne s’est pas beaucoup éloignée d’elle-même, a bientôt fait de retrouver, dans ces environs, sa vie ordinaire, sa coutume et ses alarmes : il lui faut un dépaysement qui la déconcerte bien davantage. Voyez comme, à Aix-en-Provence, ville du Grand siècle pourtant, et parmi les gens de toute sorte, les touristes et les élégants vagabonds d’un hôtel, le voyageur se laisse émouvoir et, autour de lui, prépare les déceptions de la tendresse. Avec Sylvain Dutour, chez la maréchale de Lambesc,