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Si vous les respirez, mes fleurs seront plus belles ;
Tout vous ressemble ici et vous seule y manquez.
Ne tardez plus longtemps. Je vous attends. Venez.


C’est bien joli, par le choix des mots simples et la grâce de l’exactitude, par le sentiment si naturel et cependant malin, par une habileté qui feint d’être comme ingénue. Pour compenser l’inconvénient de la mairie, les tilleuls suffisent... Et l’on se souvient d’une allée de tilleuls qu’il y a dans la Princesse de Clèves et que vantait Stendhal. La « divine » Princesse de Clèves, disait Stendhal. L’auteur des Saisons de Nesles approuve Jean Moréas, lequel louait Mme de La Fayette pour le tour varié de ses phrases et la convenance du style et de la pensée. Cette convenance, M. Émile Henriot la recherche et la trouve. Je lui ferai pourtant un reproche, qui est de prendre des libertés avec l’ancien usage du vers français.

Les symbolistes ont inventé le vers libre ; et c’est un vers, ou c’est une forme de langage, intermédiaire entre le vers et la prose, une espèce de prose rythmée, que je ne vois aucune raison de réprouver. M. Émile Henriot ne se sert pas du vers libre, dans ses poèmes que j’ai lus. Dans sa prose, quelquefois : « MM. de Bouglainval et Courtacon étaient devenus grands amis. Silvie avait réussi ce prodige, de les rendre bientôt inséparables. Mon calcul avait été bon, — mais il l’eût été moins sans elle, — qui sut bien entrer dans mes vues. — Le hasard même s’en mêla... » Ce sont, en prose, de petits vers sans rime et qui ont le rythme de l’octosyllabe ; Joubert se plut quelque temps à écrire ainsi. Quant à ses poèmes, M. Emile Henriot les compose en vers réguliers, mais fautifs : j’appelle fautes les libertés qu’il prend avec le vers régulier, du moment qu’il observe à la rigueur les règles principales et constitutives de ce vers.

Fautes, et traits de nonchalance, que je signale. Ce bon écrivain, ce lettré, cet ami de l’érudition et, pour tout dire, ce philologue n’évite pas tous les péchés de nonchalance, où il y a de la gentillesse, je le veux bien, mais périlleuse. Il arrive alors que sa phrase, ordinairement nette, s’embrouille. Il écrira, par exemple : « Il y a de la frivolité, aux regards des personnes sérieuses dont le sérieux consiste à ne jamais ouvrir nos livres, à s’attarder sur la physionomie d’un mot, à lui demander son histoire, à en considérer l’usure, etc. » L’on ne sait pas, on ne sait pas vite, où cessent les infinitifs de retomber sur consiste... La même nonchalance est cause qu’un poème de M. Émile Henriot porte, en latin, ce titre, semper eeadem : « pour la même, toujours » ; et n’est-ce pas un barbarisme ? La même nonchalance