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petit cadre, un tel accent, soit tendre, soit amer, ou d’un mépris total, ou d’une moquerie si douloureuse : tant de sensibilité unie à tant de perfection... À lire les écrits de Toulet, pour peu qu’on prenne intérêt au jeu du style, mené par un grammairien de premier ordre, on goûte d’abord un plaisir charmant, tout intellectuel, celui que procurent toujours la vue d’une belle réussite et l’exercice adroit de la science. Puis l’on s’aperçoit que, sous ce jeu brillant, comme un poison sous des fleurs, se cachent la plus noire connaissance de la vie, un monde jusqu’alors insoupçonné de chagrin, de déception, de tristesse, et la plus sévère amertume... «Voilà de parfaite critique, sensible et intelligente, digne de qui n’est pas « un ignorant dont les Muses ont ri, » comme disait Jean Moréas.

M. Émile Henriot donna premièrement des poèmes, de savantes « églogues imitées de Virgile » et un recueil, La Flamme et les cendres. Il y a, dans ces poèmes, de la jeunesse, de la vivacité, un tour élégant. L’on y sent l’influence d’autres poètes et, notamment, de Marceline, de Sainte-Beuve et de maîtres plus récents. L’on y aimera beaucoup Les saisons de Nesles, suite de poèmes familiers, qui vont de la gaieté à une tristesse heureuse, pour ainsi dire. Comme Santeul autrefois, notre poète a vécu dans cette petite ville, où il retourne volontiers en quête de souvenirs et de jeunes espérances, où dès l’arrivée il reconnaît l’odeur ancienne du chèvrefeuille.


Je vous écris de la campagne. Le printemps
Frais éclos met dans l’air ses rythmes éclatants,
Et proclamé sans fin la jeunesse légère
Du monde. L’air est plein de l’odeur de la terre,
Les pommiers sont en fleurs...
Il y a des iris au bord de la terrasse
Et, la nuit, on entend, qui transperce l’espace
Comme un couteau divin, le chant du rossignol.
L’azur plein de rayons, de parfums et de vols,
Sourit et transparaît sous les jeunes ramées.
Il ne me manque ici que vous, ma bien-aimée...
Pour le village, il est rustique et sans apprêt.
L’église est du douzième siècle. Tout auprès,
Le presbytère, avec de charmantes fenêtres
À croisillons de bois, quelques maisons champêtres,
Des chaumes. La mairie est neuve et sans beauté.
Mais, sur la place, les tilleuls sont bien taillés...
Ma bien-aimée, il faut que vous veniez à Nesles,