Au dernier tour, calculé exactement, — car elle n’avait point perdu le sang-froid dans l’enthousiasme, — elle vint rompre son élan devant le jury, le visage tout enflammé, les joues rouges, les yeux éclatants de bonheur. Visiblement il n’y avait plus pour elle que la minute présente. Le cheval qui gagne le Grand Prix, s’il s’en rend compte, doit éprouver cette sensation de plénitude où l’être s’épanouit dans l’oubli du temps.
Son danseur de la veille se précipita le premier et, dans un élan d’enthousiasme qui sans doute lui ôtait le gouvernement de ses actes, — à moins qu’il ne fût qu’un prétexte, — il ne put se tenir de l’embrasser en public.
Elle parut revenir de loin quand Aynaud-Marnière, vaincu, lui aussi, comme les autres concurrents, la félicita :
— Ah ! miss Hobinson, tout le cirque des montagnes se déplaçait avec vous. Vous les faisiez bondir comme des agneaux, ainsi qu’il est écrit dans la Bible.
— Dans la Bible, vraiment, il est déjà question de sport ?
— Sicut agni ovium, insista Mlle Deleuze accourue et les yeux inquiets comme si elle cherchait l’explication d’un problème.
— Et vous, mademoiselle, demanda le diplomate à la nouvelle venue, que poursuiviez-vous sur la glace ? un nom ou une fleur ?
— Ni un nom, ni une fleur. Vous n’avez pas deviné ?
— Mais non.
— Que voulez-vous que nous poursuivions, sinon l’amour ? J’inscrivais son nom dans un dessin et miss Maud courait après lui.
— Je ne cours après personne, protesta l’Anglaise.
— Pas même après lui ?
— Au contraire, je le défie de m’atteindre.
— Ne le défiez pas, miss Maud, ne le défiez pas. Devant lui, je vous assure que vous courez moins vite que moi.
— Oh ! fit-elle avec orgueil : je suis gagnante.
— Pour la vitesse seulement. Et vous ne le serez pas toujours.
-— Je le serai demain sur le bob.
Cette ingénuité dans l’assurance agaça Nicole et parut l’exciter à la lutte. Quant à Maurice Aynaud-Marnière, il était subjugué.
