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pittoresque, du piquant, de la vie, ce qu’on peut rêver de plus agile et de plus coloré, par les simples moyens de la gravure en blanc et noir. Dorat ne doit la vie qu’au talent du graveur qui a décoré ses Baisers, et qui a mis dans ses vignettes toute la poésie qui n’est pas dans les vers. Cette école est un des sourires de la France. Et voici qu’à toutes les ressources de l’atmosphère et du dessin, elle était en mesure d’ajouter la couleur, quand survint la Révolution qui mit en fuite les Grâces et donna bientôt à toutes choses un aspect héroïque : le monumental Racine de Didot est bien le Racine de Talma et de Napoléon, à l’échelle de l’Arc de Triomphe. Mais cet arrêt glacial, cet effort vers le tendu et vers le théâtral, cette rigidité jacobine et administrative, ne devaient retarder qu’un instant le mouvement impétueux qui emportait le siècle vers la passion et vers la vie.

Le livre romantique allait trouver une souplesse inédite dans l’usage retrouvé du bois, et dans l’invention de procédés rapides, économiques, tels que la lithographie. Et une génération nouvelle d’illustrateurs, les Célestin Nanteuil, les Tony Johannot, les Raffet, les Charlet, les Daumier et les Gavarni, naissait à point nommé pour semer de vignettes les Napoléon de Norvins et de Laurent de l’Ardèche, Shakspeare, Cervantès, l’Arioste, Byron, Bérenger, et pour peupler d’images les romans d’Eugène Sue et la Comédie de Balzac.

Ainsi se poursuivit le mariage séculaire du livre et de l’image, de l’art et de la poésie. Comment cette longue union en vint-elle à se rompre ? Comment, après tant de beaux livres, en vit-on soudain de si laids ? Comment se désagrégea l’accord qui faisait le charme des vieux livres ? Comment s’explique cette décadence ? On a vu que cet art du livre était venu sans interruption depuis les anciens jusqu’à nous ; il s’était perpétué, très semblable à lui-même, malgré la révolution apparente introduite par l’imprimerie. Le romantisme même ne rompt nullement avec le passé : il reste parfaitement homogène avec le mouvement de la France classique. Comme disait Péguy, il est encore vieille France. Subitement, vers le milieu du second Empire, toute trace de style disparait. Cela se produit en toute chose, dans l’art, dans le mobilier, dans le décor de la vie. Plus d’architecture, plus un livre, plus un bijou, plus un fauteuil digne de ce nom.