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soixante-dix-neuf) qui composent cette œuvre surprenante. Comment s’étonner de l’accord qui règne entre ces œuvres d’apparences si diverses, et marie les miniatures des vitrines à l’immense tapisserie qui leur sert de cadre ? Toutes ces œuvres sont de même famille : un même esprit anime, comme le plus harmonieux des mondes, le Moyen âge entier, architecture, sculpture, vitraux, peintures des missels et peintures monumentales. Tout s’ordonne comme les images d’un seul livre, d’une Bible universelle, construite, sculptée, peinte, et dont on épèle le texte sur des pages de pierre, de soie, de verre ou de vélin.

Longtemps, aussi longtemps que dura l’art chrétien, le rapport fut à peu près le même entre les artistes, peintres ou sculpteurs, et les livres qu’ils illustraient. On peut dire que l’imprimerie ne fit guère, tout d’abord, que multiplier les modèles, sans rien changer aux habitudes. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, plus tard encore dans les pays demeurés catholiques, presque toutes les œuvres célèbres de la peinture s’expliquent par quelques thèmes de livres à images familiers à tout le monde, Légende dorée, Art de mourir, le Calendrier des bergers, ou répandus entre toutes les mains par les figures des Livres d’Heures. Les plus fameux chefs-d’œuvre de cette orgueilleuse Renaissance, ses créations les plus hardies et les plus « démoniaques, » Prophètes et Sibylles de Michel-Ange, Triomphes de Titien, furieux Martyres de Rubens, n’ont pas d’autre origine.

La plupart des idées nouvelles qui se répandent alors sur la figure du monde, sur les costumes et les paysages d’Orient, l’exotisme d’un Carpaccio ou d’un Paul Véronèse, dérivent (quand ils ne sont pas pris tout bonnement à Venise) des gravures du voyage de Bernard de Breydenbach. Et derrière de telles gravures, il faut souvent supposer, en dernière analyse, quelque peinture d’un vieux manuscrit, adaptée et remise à la mode du jour. Telle allégorie de Bellini, au Musée des Offices, était restée mystérieuse jusqu’à ce qu’on se fût avisé que le mot de l’énigme était dans un poème souvent réimprimé à la fin du XVe siècle, et déjà popularisé par une foule de manuscrits (il y en a un très beau à l’Exposition, provenant du fonds de Sainte-Geneviève), le livre des Trois pèlerinages de Guillaume de Digulleville, religieux de Chaalis.

Les artistes modernes ont cru faire un grand progrès eu