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cette forme n’est pas encore tombée en désuétude. Les tableaux illustrés qu’on suspend aux murs dans les écoles primaires, pour enseigner à nos enfants la suite des rois de France, les éléments de l’anatomie ou le système métrique, sont une dernière survivance de l’antique volumen.

Nos livres eux-mêmes tiennent plus qu’il ne semble de leur ancêtre le manuscrit. L’imprimerie, en les multipliant, n’a point changé leur forme. La feuille de papier conserve les dimensions que la nature a données au vélin. Les cahiers que l’on obtenait en pliant le parchemin, déterminent encore le format, le nombre de pages de l’in-quarto, de l’in-octavo, et des petits formats modernes, l’in-douze et l’in-trente-deux. On crée toujours moins qu’on ne croit. Nos chemins de fer eux-mêmes, nos rapides et commodes wagons, ne sont-ils pas assujettis à la mesure de l’essieu et à l’écartement des roues des vieux chars attelés de bœufs ? Toujours, dans un ouvrage humain, subsiste la trace de l’être naturel qu’il imite ou dont il est extrait ; cette origine lui donne ses limites et la vie. Comme le royaume de Didon, l’immense empire du livre se souvient d’être taillé dans la peau d’un animal.

Comme toujours aussi, les plus émouvants de ces livres et probablement les plus beaux, se trouvent être les plus anciens. En art, il n’y a pas de progrès : ou observe des changements, des variations du goût, mais il s’en faut que ce soient toujours des perfectionnements. Rien n’égale la majesté de ces grands livres sacerdotaux des hautes époques de notre histoire, de ces évangéliaires, de ces psautiers, de ces sacramentaires qui seront, pour plus d’un visiteur, le souvenir durable de cette exposition. Chose curieuse ! Presque tous proviennent de ces abbayes du Nord, Saint-Vaast, Saint-Bertin, Corbie, Saint-Amand, Saint-Riquier, qui furent les écoles de la vie monastique et les conservatoires de la civilisation. A considérer ces pages pompeuses, ces encadrements d’or, ces feuillets teints d’une pourpre qui a pris en vieillissant les tons de l’aubergine, à tourner ces pages carrées, qu’on prendrait pour les tables d’un livre de bronze et de porphyre, on en vient à douter de la barbarie de ces époques. On comprend l’étendue de la Renaissance carolingienne. Jamais on ne sut donner à une page écrite un caractère plus grandiose et plus monumental : quelle importance prennent sous le pinceau de l’artiste ces textes de la Bible, qui semblaient la voix