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de province, héritières des grandes abbayes, des paroisses et des cathédrales. Huit siècles de manuscrits étincelaient dans les vitrines. Venaient ensuite les livres à figures, les incunables les plus rares, les impressions les plus précieuses des presses de province, livres d’Heures de Simon Vostre, de Pigouchet et de Vérard, livres vénérables à l’égal des plus vénérables manuscrits, livres solennels, livres insignes, livres mémorables, que les initiés désignent par leurs dates, comme la Danse macabre de 1485, dont il n’existe qu’un exemplaire, honneur de la bibliothèque de Grenoble. Et, autour de ce Moyen âge reposant dans sa nef paisible, la cathédrale d’Angers déployait les panneaux inouïs de sa grande tenture de l’Apocalypse, l’ainée et la plus émouvante, ainsi que la plus vaste de toutes les tapisseries connues, le chef-d’œuvre de l’art d’Arachné. Les salles voisines offraient un choix d’éditions illustres des trois siècles suivants, jusqu’aux merveilles inégalées de l’art de l’imprimeur, les grands livres français du XVIIIe siècle, en exemplaires de choix, sortis des cabinets les plus difficiles et les plus recherchés. Enfin, les reliures les plus nobles et les plus historiques, blasonnées d’armoiries, couvertes d’emblèmes et de devises, présentaient comme dans un riche écrin les joyaux de l’art exquis des Clovis Eve, des Le Gascon, des Du Seuil et des Padeloup, en même temps qu’elles offraient, de Groslier à Montaigne et de La Vallière à Paulmy, la société idéale de l’élite des amis des livres.


De tous les ouvrages de l’industrie humaine, il n’y en a peut-être aucun qui soit, autant que le livre, chargé d’humanité, Aucun ne représente plus d’histoire. Aucun ne raconte mieux le passé. Par son texte, il conserve la parole et la pensée des hommes d’autrefois ; le caractère et la typographie en gardent quelque chose qui ressemble à l’accent, tandis que la décoration rend sensibles les nuances intimes de l’imagination, de la mode et du goût. Le livre touche ainsi à tous les aspects de la vie : il exprime l’état. des idées, des arts, de la société. Si nous avons appris à évoquer le passé par ses monuments les plus humbles, à faire parler les monnaies, les médailles, les sceaux, à interroger les étoffes, les bijoux, les armes, que ne nous dira pas le livre, qui tient de la pensée, du bibelot, du meuble et de l’objet d’art, et qui, comme l’homme lui-même,