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coupés court, lui donnaient un air de jeune (garçon, mais les yeux bleus, d’une limpidité d’eau pure, les joues lisses, sans un pli, l’expression étonnée et enfantine du visage rappelaient ces poupées articulées et sereines des grands magasins. L’ensemble était si harmonieux qu’elle avait bien raison d’en proposer l’inspection, et le jeune diplomate se fût extrêmement félicité de l’avoir prise comme gagnante sans la présence intempestive de ce cavalier plaisant et mûr qui prenait des airs avantageux de propriétaire du cheval favori.

Cependant, la partie de hockey terminée, le général Harvey qui présidait aux jeux avec une gravité imperturbable, tout comme s’il dirigeait une opération militaire sur le front, fit évacuer la patinoire, plaça le jury, appela les dix concurrents. Il devait y avoir deux épreuves, une de figures et l’autre de vitesse. Maud Hobinson et Nicole Deleuze étaient les deux seules femmes inscrites. Personne ne s’intéressait aux quelques jeunes gens qui leur disputaient la palme, tandis que leur rivalité passionnait d’avance le public, à la profonde indignation de tout un lot de femmes élégantes et brillantes, de la plus haute société, et de la plus lancée, qui piaffaient autour d’une Altesse en exil, et qui tenaient pour un véritable scandale cette attention aujourd’hui accordée aux jeunes filles.

La patinoire vide luisait comme un miroir où les montagnes de neige reflétaient leur visage immobile. Puis, tout à coup, le miroir s’anima. A tour de rôle, chacun des concurrents y vint exécuter les figures imposées : changement de carré, trois, double-trois, boucle, rocker, contre-rocking, bracket. Quand ce fut le tour de l’Anglaise, elle dessina, le visage tendu, sa composition d’examen, d’un style correct, appliqué, impeccable. Nicole Deleuze se lança, vêtue de laine verte, coiffée d’un béret vert, gentille, coquette, souriante. Elle s’amusait, ne semblait pas prendre au sérieux le concours, et de fait manqua l’une ou l’autre des images géométriques. Mais elle eut sa revanche dans les figures libres : tandis que miss Maud et les autres patineurs, un Norvégien, deux Américains, deux Hollandais et trois Anglais, — ne sortaient guère de la convention, manifestaient une fois de plus ce manque d’esprit inventif qui se remarque partout, dans le sport comme dans l’art, la petite Française déploya les plus jolies grâces du monde à entremêler les motifs décoratifs. Sous l’acier de ses patins que le soleil transformait