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exprimer tout entière. Ses livres ne lui avaient pas fait que des amis, avant le grand succès unanime du Dernier Viking. On lui reprochait cette hardiesse qui, pourtant, n’égale pas la brutalité de Bjornson, et, — chose étonnante pour nous, Français, — on lui reproche ce que nous admirons dans ses livres : la clarté, le sens de la composition, l’équilibre des parties, la logique des caractères, tout ce qui nous ressemble et qu’il doit peut-être à l’étude de nos écrivains.

Car il les a beaucoup étudiés. Il en parle d’une manière imprévue et savoureuse.

— Aimez-vous Maupassant ? J’adore Maupassant. Le dîner chez les Forestier, dans Bel-Ami, quelle chose épatante ! L’atmosphère, la conversation, les types, tout y est. La vérité même ! EL que c’est bien Paris, un certain Paris !… Les femmes, vous rappelez-vous ? Mme de Muriel, la brune, Mme Forestier, la blonde… Quand je suis avec des Parisiennes, je me demande toujours : « De quelle espèce est celle-ci : Martel ou Forestier ? » Oui, c’est entendu ; il y a d’autres types de Parisiennes, mais ces deux femmes, ils n’existent qu’à Paris, voluptueuses sans être basses ; l’une un peu oiseau, mais si vive, si drôle, et l’autre, la Forestier, câline, douce, roulée dans ses peignoirs blancs, avec un cerveau d’homme et une volonté d’homme, et si féline, si femme !… Hein ?… Quoi ?… Démodé ?… Les jeunes écrivains vomissent sur Maupassant ?… Ils le trouvent inintelligent, vulgaire ?… Mais qu’ils essaient donc d’écrire un bouquin vivant comme Bel-Ami, où pas un mot n’a vieilli, après quarante ans ! Qu’ils essaient !…


MARCELLE TINAYRE.