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gaies comme des enfants et fortes comme des Valkyries. J’ai compris que les reines de la mer ne sont pas mortes, que leurs âmes revivent en leurs descendantes, dans ces belles filles amoureuses de liberté, qui ne craignent pas la lutte, — et pas même la lutte électorale ! — qui ont gardé, comme tout leur pays, une fraîcheur un peu primitive et sauvage sous une volontaire modernité, et qui portent, avec une fierté d’amazones, leur casque de cheveux blonds.


M. JOHAN BOJER

J’avais le désir de connaître Johan Bojer, parce qu’il est un grand romancier et parce qu’il est un grand ami de la France. M. Pralon, notre ministre, qui sait réunir à la Légation l’élite de la société de Christiania, avait devancé mon vœu. Au dîner qu’il donna, j’eus le plaisir de rencontrer, en excellente compagnie, mon illustre confrère norvégien.

Nous fûmes amis tout de suite. Avec Bojer, on est vite fixé. Il vous regarde, vous devine, vous juge et vous classe. Il a cette intuition spéciale au romancier qui a observé des gens de toute sorte et voyagé à travers la société, en tout sens. Les Norvégiens se font gloire de leur franchise. Johan Bojer pratique cette vertu nationale. Il la pratique même dans ses livres, ce qui sort des règles du jeu, car en ce pays, où l’on méprise les conventions sociales, il n’est pas permis de toucher à certaines conventions de moralité. L’esprit puritain, qui survécut chez un Bjôrnson aux croyances religieuses, ne va pas sans hypocrisie.

Cette hypocrisie, Bojer l’ignore. Il a dénoncé la « Puissance du mensonge ; » il a démonté les âmes des faux apôtres et des égoïstes théoriciens qui, pour leur propre satisfaction, tentent des expériences sociales « sous le ciel vide. » Il a osé montrer une jeune fille perdue par la douceur des « nuits claires » et par une dangereuse liberté. Il ne croit pas que les jeunes hommes soient de meilleurs maris s’ils arrivent « purs » au mariage, et que les interminables fiançailles, avec promenades, baisers, sommeil côte à côte dans les huttes, n’entraînent jamais aucun péril pour l’innocence des demoiselles.

Il écrit ce qu’il pense ; il dit ce qu’il a vu ; il ne ménage rien ; et ce n’est pas, chez lui, besoin de moraliser et de prêcher. C’est amour de la vérité, émotion devant la vie qu’il veut