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la plus chère, et autour des deux femmes, on avait placé des lampes, des escabeaux, le métier à tisser, le rouet et la quenouille. Ainsi, dans le monde surnaturel où elles allaient revivre, Asa et sa compagne retrouveraient les coffres, les bijoux, les vêtements, le peigne d’os gravé, les traîneaux qui voleraient sur la neige au galop de chevaux fantômes, et le navire qui ouvrirait ses voiles brillantes au souffle d’un ciel inconnu.

On rejeta la tourbe sur le vaisseau, on éleva le tumulus de pierres entassées, — et onze siècles passèrent.

Qui nous dira le secret de la reine Asa ? Je suis allée dans les salles du Musée, interroger ces choses mortes, plus mortes d’être là, sous des vitrines, dans la triste clarté d’un matin de neige. Voici les seaux, les coffres, les escabeaux, le rouet et la quenouille ; voici le peigne d’os ciselé et les épingles de corne ; voici la lampe et des débris d’étoffe, et voici les petites bottes en chevreau. Une boite de verre, remplie d’eau alcoolisée, contient un merveilleux dragon dont le bois s’effriterait à l’air libre.

Au milieu de la salle, est la grande charrette à quatre roues et plus loin les deux traîneaux, pièces merveilleuses, dont la restauration a coûté des années de travail, car un seul des traîneaux était réduit en 1 068 fragments ! Pour eux, comme pour le navire, on a dû faire « cuire » le bois, deux ou trois fois, dans l’eau bouillante, afin de rendre aux fibres du chêne la souplesse indispensable pour le travail de réajustement.

Sur le char et sur les traîneaux, sur les coffres, sur la baratte à beurre, foisonne la décoration sculpturale, grouillement de monstres, nœuds de reptiles, qui me rappelle les figures de certains chapiteaux romans, et qui décèle des influences asiatiques, Ils ont des ancêtres dans les temples de l’Inde, ces crocodiles entrelacés, ces chiens, ces chevaux, ces cavaliers, ces serpents, toute cette ornementation exubérante, qui paraît confuse au premier coup d’œil, et qu’on aperçoit bientôt comme ordonnée par un art très sûr. Mais n’est-on pas surpris de distinguer, sur la baratte à beurre, d’étranges faces bouddhiques ?

Ni les symboles perdus de cette sculpture, ni les lettres runiques gravées sur un bâton, ne nous apprennent le secret de la reine Asa… Ce secret, je l’ai deviné plus tard, en voyant, dans les rues de Christiania, et au dancing de l’hôtel Bristol, les Norvégiennes