Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rougeoyants, aux mâchoires d’os ciselé, que l’ennemi apercevait de loin, au-dessus des verts dragons des vagues, comme une bête jaillie de la mer. Alors, le navire n’avait pas cette triste couleur de houille. Il était bariolé de tons éclatants, à l’ombre de ses voiles peintes. Quinze couples de rameurs pesaient, en chantant, sur les avirons de sapin. Les boucliers des Vikings étaient suspendus au bordage. Près du mât, sur des tapis qu’elle-même avait tissés, la « reine de la mer » était assise avec ses femmes, et se réjouissait à sentir le vent printanier dans sa chevelure, tandis que le « drakkar » splendide glissait sur le fjord couvert de barques.

Qu’était-elle, cette reine barbare, si honorée qu’elle avait reçu la sépulture et les honneurs réservés aux chefs ? J’ai cru comprendre qu’elle s’appelait Asa… Peut-être s’illustra-t-elle comme ces amazones du Nord dont parlent les vieilles Sagas, comme Hetha et Visina, qui vinrent au secours d’un roi de Zélande, avec une armée de vierges et de Suédois sauvages, portant de longues épées et de petits boucliers bleus. Peut-être ressembla-t-elle à cette fille du roi Sigurd, Alfhilda, princesse des Ostrogoths, qui était chaste et belle et toujours voilée, et qui avait deux guerriers pour la défendre et pour éprouver, au combat singulier, la valeur de ses prétendants. Un jeune Viking, Alf, tua les deux gardiens et crut gagner le cœur de la vierge ; mais la princesse s’enfuit avec ses compagnes, sous des vêtements masculins. Elle devint « amirale » d’une flotte de Vikings, qui croisait dans le golfe de Finlande. Un jour, les « drakkars » de l’amant vinrent livrer bataille, et les deux navires d’Alf et d’Alfhilda s’accrochèrent bord à bord. Le jeune homme et la jeune fille se défièrent, et ils luttèrent, à coups d’épée, jusqu’à ce que, le heaume d’Alfhilda se détachant, le clair visage de la princesse se révélât, dans un flot de tresses blondes, — et le seul vainqueur dans ce combat, ce fut l’amour.

Asa, reine de la mer, quelle Saga oubliée aurait pu nous conter vos aventures ? Je pense à ce jour où l’on vous étcndit. dans la chambre funéraire, après de sanglantes cérémonies. C’était un jour de fin d’été, quand il y a encore des fleurs et que les pommes sauvages mûrissent. Sur un lit à colonnes, garni de coussins, la morte reposait, vêtue de sa robe brodée, chaussée de ses petites bottes en fin chevreau. Ses cheveux nattés descendaient sur sa poitrine. À ses pieds gisait son esclave