Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient abîmé le navire et causé l’éboulement des terrains qui le protégeaient. La tâche des ingénieurs fut très difficile Il fallut renoncer à exhumer le bateau dans son entier. On déblaya l’intérieur avec les précautions les plus minutieuses, et chaque jour réserva quelque surprise. On trouva, d’une part, tous les ustensiles nécessaires à la cuisine, fourneau, crémaillère, marmites, seaux cerclés de bronze, baratte a beurre, tonneaux à bière ; d’autre part, des avirons, des épuisettes, une planche d’accostage, les outils et les matériaux dont les marins se servent pour réparer les bâtiments ; puis quatre traîneaux, une grande voiture à quatre roues, des coffres qui avaient contenu des provisions. On put reconnaître des grains d’avoine, des noisettes, des noix, des plantes tinctoriales qui donnaient une couleur bleue, et une cinquantaine de pommes sauvages, toutes ridées et noircies.

Dans le navire, et au dehors, étaient les squelettes de quinze chevaux, de quatre chiens et d’un bœuf dont la tête était coupée.

C’était bien le tombeau d’un Viking, constitué selon le rite, avec tout ce que le défunt avait aimé durant sa vie terrestre, et qui devait consoler son âme dans le paradis d’Odin. Les ossements, dispersés par les pillards, furent réunis, et l’examen prouva que le Viking était une femme. Une autre femme, sans doute esclave, et sans doute immolée pour le service de la morte, avait été ensevelie avec elle. L’une pouvait avoir trente ans, l’autre un peu plus de quarante. D’après le style des objets qui leur avaient appartenu, l’on reconnut qu’elles étaient des contemporaines de Harald Haarfagre, qu’elles avaient vécu probablement vers la fin du IXe siècle, et l’on ne sut rien d’elles que cela


… Dans le vaste hangar que remplit l’odeur âcre du goudron, je regarde le vaisseau, reconstitué par des mains savantes. Étayé sur un support de bois et des piquets de fer, il dresse sa belle proue mutilée, ornée de sculptures représentant des animaux fantastiques. La cambrure de l’étrave, d’un dessin élégant et fier, devait se prolonger par une haute spirale écailleuse, par le dragon qui donnait son nom aux navires scandinaves, corps de serpent, long cou dressé, tête féroce aux yeux