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Le roi Haakon et la reine Maud possèdent un chalet dans les pins de la colline.

— Ils l’habitent en ce moment, me dit Mme D… qui a bien voulu être mon guide. Le roi descend tous les jours, en ville, pour voir ses ministres, au palais royal. La route étant interdite aux automobiles, il prend le tramway, comme tout le monde, et personne ne fait attention à lui. Souvent, avec la reine Maud, il se môle aux patineurs, et cette liberté dont ils jouissent leur est précieuse. C’est que nous sommes un peuple très démocratique, — beaucoup plus que vous ! — et si nous avons un roi, c’est pour des raisons de commodité (sic). Mais tout roi qu’il est, chaque citoyen se regarde comme son égal. Pour lui et pour nous, c’est agréable.

Je ne puis m’empêcher de rire à cette idée d’un roi qui prend le tramway tous les malins et qui va à son palais confondu parmi les employés qui vont à leur bureau. Que cela me paraisse singulier, c’est évidemment la marque d’un esprit tout français, dit ma compagne, c’est-à-dire « foncièrement aristocratique, » car les Français, malgré leur étiquette républicaine, ne savent pas ce qu’est une « véritable démocratie. »

Mme D… a peut-être raison. Le lendemain de notre promenade à Holmenkollen, j’ai croisé, dans la rue de l’Université, un monsieur grand, très grand, chargé d’une serviette comme un avocat. Il causait avec un autre monsieur, d’un ton familier. On m’a dit :

— C’est le roi Haakon. N’est-ce pas, il est sympathique ?

— Tout à fait sympathique.

— Et puis, c’est si commode de l’avoir !

Cette idée de « commodité » c’est décidément la forme du loyalisme dans les âmes norvégiennes.

La charmante personne, — ancienne infirmière sur le front français, — Mlle D… F…, qui m’avait montré le roi, était beaucoup plus respectueuse lorsqu’elle me conduisit, selon mon désir, au cimetière du Saint-Sauveur. Ce cimetière est un parc, dans le centre de la ville, et, pendant la belle saison, les femmes vont s’y asseoir, sur des bancs, à l’ombre des bouleaux, et les enfants jouent parmi les lombes.

Ibsen et Bjôrnson reposent là, ombres ennemies, ombres inégales, sous des monuments aussi différents que leurs génies. Un obélisque noir marque la place où dort le père de Nora, de