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LE ROYAUME DE LA NEIGE

Entre Bergen et Christiania, dans le train qui halète en remontant sur la voie taillée à. flanc de montagne, je contemple les monotones déserts du Hallingdal.

Chaleur affreuse dans le wagon. Les Norvégiens craignent le froid comme les Arabes craignent le soleil. L’air glacé qu’ils boivent avec délices, lorsqu’ils parcourent, sur leurs patins, les blanches étendues neigeuses, ils le redoutent dès qu’ils s’enferment dans un wagon ou dans une chambre. Ici, une vapeur d’étuve imbibe mes fourrures et coule en filets d’eau sur les vitres embuées qu’il faut essuyer sans cesse.

C’est le seul inconvénient dont j’aie à me plaindre, car le wagon de seconde classe, — il n’y a pas de « premières » dans les trains norvégiens, — est confortable et propre. J’ai, pour voisins, un bon gros monsieur blond, qui dort sur un journal, et un jeune ménage avec un bébé, ménage modeste d’employés ou de petits fonctionnaires. J’avoue qu’au premier moment, mes compagnons me parurent un peu… sans façon, et d’une éducation rudimentaire, mais j’ai appris à me méfier de ces impressions superficielles, car, d’un pays à l’autre, le protocole de la politesse est variable.

Dans la démocratique Norvège, ce protocole est réduit au minimum, et les étrangers venus du Sud sont quelquefois déconcertés par des manières qui leur paraissent brutales. Il leur semble que la loi du pays, c’est « chacun pour soi. Personne ne se gêne pour personne. » Les hommes traitent les femmes en égales et en camarades, c’est-à-dire qu’ils les laissent se tirer d’affaire comme elles peuvent, avec les seules forces qu’elles doivent à la nature, mais les femmes, accoutumées à cette liberté qu’elles ont désirée et dont elles sont fières, trouvent parfaitement corrects des procédés qui sont un hommage à leur esprit d’indépendance.

Je devais m’en apercevoir, par la suite. Dans ces premiers jours de mon voyage, j’avais besoin de m’adapter à des mœurs si différentes des nôtres.

La journée s’avançait et il n’y avait pas de wagon-restaurant dans ce train. Mes compagnons de voyage avaient une bonne provision de tartines, tandis que je me contentais de quelques