hommes. Cela est plus sensible encore dans le quartier que nous avons traversé pour rentrer en ville, quartier riche, où les jardins sont plus grands et les villas plus élégantes. Le crépuscule venait, lent et blême, et toutes les couleurs se fanaient sous le frisson qui annonce le soir. Je croyais voir, dans une transparence grise, les jolies maisons au toit débordant, au pignon percé de baies, maisons presque toutes en deux couleurs, boiseries et charpentes bleues sur un fond cendré, vertes sur un fond rouge, ou noires sur un fond orangé. Vers les portes des jardinets, accouraient des jeunes filles à bicyclette, dont les tresses blondes brillaient sur des chandails aux nuances crues. Des nurses ramenaient d’admirables petits enfants, pelotes de laine bourrue et de soie floche. Déjà s’allumaient, derrière les vitrages, les plafonniers électriques, jaunes, rouges, roses, opalins ou lactescents, soyeux comme des pavots ou nacrés comme des coquillages. Et, de la rue qui s’assombrissait, sous le vent levé soudain, je regardais, en passant, ces « intérieurs » comme les chapitres d’un livre qu’on feuillette et qu’on n’a pas le temps de lire. Style moderne, un peu anglais, bois vernis, cuivres luisants, chauds velours foncés, toiles peintes ; et partout des lampes à profusion, et partout aussi des fleurs, toujours les mêmes, ces bouquets qui ornent les tables des restaurants, les chambres des hôtels, les devantures des magasins, ces tulipes jaunes apportées en masse, par bateau, de la printanière Hollande.
Le vent est tombé ; la mer est câline entre les iles. Qu’il fait noir sur les eaux semées d’écueils ! Toute la nuit, quand je croirai m’endormir, j’entendrai la clameur des sirènes, et le bateau s’arrêtant, je ne résisterai pas au désir de me lever et d’écarter le store rabattu sur le hublot. Embarcadère d’un petit quai, maisons de bois, lueurs derrière les baies vitrées et les rideaux d’un hôtel, voyageurs qui descendent ou qui montent, tout cela comme un tableau plaqué de blanc et de noir, un tableau sans perspective, où l’électricité marque durement les ombres et accuse les volumes, tandis que je traduis malgré moi cette vision selon la formule des paysages « cubistes ! »
Et puis, après un sommeil qui m’a paru bien court, c’est la