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III. — SUR LA PATINOIRE

Quand Maurice Aynaud Marnière replia, le lendemain matin, le volet de fer qui s’enroulait par un mécanisme intérieur, et quand il découvrit le paysage, il eut envie, tout diplomate qu’il fût, de pousser un cri de triomphe. La symphonie bleu, blanc, or, s’exécutait à nouveau pour lui, plus complète encore que la veille, sans un nuage dans le ciel d’un azur éclatant, miraculeux. Il donna des noms aux formes des montagnes qui lui souriaient : l’Eggli en forme de dôme ; le Gummfluh pareil à une énorme forteresse, et la pyramide du Rüblihorn. Les forêts de sapins noirs prenaient un relief extraordinaire dans cette blancheur qui ne paraissait pas immobile, mais vivante et toute frissonnante aux caresses du soleil. La vallée, devant lui, s’allongeait dans la direction de Saanen et de Château d’Oeix, mais autour de Gstaad s’arrondissait en forme de coupe toute prête à recevoir la lumière. Et cette lumière était chaude : après s’être habillé, il l’éprouva sans retard en venant s’accouder sur son balcon, ce qui mit en fuite un vol de corneilles dont les ailes noires, elles aussi, tracèrent sur le décor un dessin d’une singulière netteté. L’air qu’il respirait était frais, et non glacial, et cependant le thermomètre accusait, pour la nuit, huit ou neuf degrés au-dessous de zéro. Il put même déjeuner la porte-fenêtre ouverte, comme à Nice ou à Cannes.

Un message de son collègue italien, apporté par le chasseur, lui vint rappeler qu’on l’attendait sur la patinoire pour la première épreuve.

« Si je n’y allais pas ? se proposa-t-il à lui-même. Je suis évidemment un très modeste skieur après tant d’années d’interruption passées dans les pays chauds. Pourtant, si je gagnais avec mes skis quelque bonne pente solitaire où je tomberais tout à mon aise, sans encourir le mépris de miss Maud Hobinson, ni entendre les rires moqueurs de Mlle Nicole Deleuze ? Je ne suis pas venu ici pour assister à une rencontre internationale. La Conférence de Lausanne, lamentablement terminée ou remise par les exigences turques et par le départ de lord Curzon, me suffit amplement et je ne veux plus entendre parler de la rivalité franco-britannique... »