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Et, sur la table, à côté du téléphone, l’auge pose une vénérable bouteille de Pommard. .


Est-ce l’effet des gouttes du docteur ou du Pommard que j’ai bu ? Me voilà ressuscitée. J’ai pu parler devant un auditoire que j’ai senti plein de bienveillance, et faire honneur à ce qui remplace le dîner, un « thé » copieux, où, pour la première fois, j’ai la révélation des smôr brod, ces tartines beurrées, couvertes de viande, de poisson fumé, de sardines à l’huile, de saumon, de charcuteries et de fromage, qui me semblent former le principal élément de la nourriture en Norvège.


Le lendemain matin, j’ai visité Stavanger, avec le seul Français qui habite cette ville, un professeur, M. Fourès, qui a vécu en Russie très longtemps et connu les prisons bolchévistes.

Elle est étrange, pour mes yeux français, cette ville de brique et de bois. Peint en clair, blanc ou gris, rehaussé de notes vives, le bois n’est pas sans charme, mais il me donne la sensation du provisoire, d’une cité bâtie trop vite et qui ne doit pas durer. Je me trompe, puisque certaines de ces maisons, dans les rues pauvres, datent de quatre-vingts ou cent ans ; et pourtant je ne me trompe pas tout à fait, puisque cette ville, — la plus ancienne de la Norvège, — a été détruite par des incendies et plusieurs fois reconstruite, comme les vieux quartiers de Stamboul.

Elle n’a pas dû changer d’aspect depuis bien des siècles, et les maisons nouvelles reproduisent probablement le type des édifices brûlés, type simple, net, adapté aux conditions climatériques. Il y a des magasins bien fournis, dans la Kirkegate, beaucoup d’appareils électriques de toute espèce, des fourrures point très belles, mais très chères, des costumes de provenance allemande à bon marché d’une curieuse laideur, de très jolis vêtements et accessoires de sport, — chandails, guêtres, bonnets, skis, patins, cannes à pêche, bâtons ferrés, — et aussi, dans les boutiques des marchands de comestibles, des fruits méridionaux, ananas, oranges, bananes, pommes ridées par l’hiver qui alternent avec le poisson sec, et les gélinottes blanches qu’on appelle « poules de neige. »