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après l’étouffement empesté de la cabine. L’œil rouge d’un phare clignote, et des lumières, déjà proches, me révèlent le quai de la ville norvégienne, les façades des maisons endormies, les mâtures pressées dans le port.

Stavanger, premier visage de la Scandinavie… Grands pignons de bois, fenêtres sans persiennes, vitres obscures, ténèbres et reflets tremblants, et toujours cette odeur de sel, de poisson et de sapin, qui restera, dans mon souvenir, l’odeur de la Norvège marine. Le cœur mécanique du bateau est mort, et le bateau même, rivé par des amarres à la pierre mouillée du quai, n’appartient plus à la mer. Chose sans âme, il se vide lentement. Des formes sombres, engoncées en des vêtements galonnés, s’agitent autour des caisses que d’autres formes débarquent.

Ma malle émerge des profondeurs, ma précieuse malle-armoire que les porteurs s’obstinent à poser, la tête en bas, ou sur le côté, sans comprendre mes indications, car j’en suis réduite au langage des sigues. Visite rapide, examen du passeport, et me voici libre, étonnée d’être là, toute seule, et de marcher, comme en rêve, derrière le porteur chargé de mes bagages, sur cette petite place déserte, où la porte de l’hôtel envoie une lueur brumeuse.


La chambre est vaste, tiède, jolie, avec ses murs bleus. Radiateurs brûlants, chaleur de serre. Le lit, étroit comme un cercueil, et dur, attire invinciblement ma fatigue, — mais il n’a qu’un seul drap, trop court, pas plus large qu’une serviette, et, au lieu du drap de dessus et des couvertures qui enveloppent les dormeurs, en France, un énorme édredon dans une housse blanche boutonnée !…

… C’est le téléphone qui me fait tressaillir soudain. Le monstre est là, tapi sur une table, et pas une heure, désormais, ne passera, sans éveiller sa voix stridente. Le comité de l’Alliance française s’inquiète de ma santé. Je réponds que je suis bien lasse encore, après l’abominable traversée, et que je ne me lèverai pas de tout le jour, afin d’être en bonne forme le lendemain, pour la conférence… Les murs bleus tournent doucement ; le plafond vacille ! Suis-je encore dans le bateau ? Non, c’est dans ma tête que le mouvement imaginaire se prolonge. Une femme de chambre vient prononcer des mots incompréhensibles, et je