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Berry se rende au Hradschin. Si elle arrive, il m’a signifié qu’il se retirerait. C’est pour cela que je suis venu à Leoben.

J’allai donc chez M. de Saint-Priest et lui montrai la résolution du Dauphin comme un obstacle impossible à vaincre. A ce moment, on vint chercher mon interlocuteur de la part de Madame. Il s’y rendit, devant, aussitôt après se présenter dans la chambre du Roi. J’en informai Charles X aux côtés duquel je trouvai la Dauphine.

— Quelle scène elle vient de me faire ! me dit cette princesse pénétrée de douleur. Elle m’a déclaré : « Vous vous montrez bien pour mes enfants et je vous en remercie, mais à mon égard vous êtes indigne. C’est vous qui ne voulez point que j’aille à Prague. » Elle soutient que MM. de Blacas et de Damas sont ses ennemis et que vous l’avez trahie. Mon Dieu, quel calice amer !... Je m’éloigne, puisque M. de Saint-Priest arrive.

Le Roi eut une longue conférence avec celui-ci dont les arguments vinrent se briser contre cette phrase : « Ma résolution est inébranlable. » Quand Saint-Priest eut terminé son entretien, je le conduisis chez Mme la Dauphine. Il tenta de la persuader, mais elle lui répondit par ces mots qui le consternèrent : « Le Roi ne peut nous sacrifier, le Dauphin et moi, à la Duchesse de Derry. »

On se figure aisément ce que fut, après tout cela, le dîner de famille et la soirée qui nous parut à chacun d’une longueur étouffante. Madame joua une partie de whist avec la vicomtesse d’Agoult, le Duc de Bordeaux et M. O’Hegerthy, puis elle conta sa chute dans la Maine où M. de Charette tomba après elle et d’où il parvint difficilement à la sortir.

Trois fois de suite, je me suis présenté chez la Duchesse de Berry à l’heure convenue entre elle et le Roi et je ne fus point admis. A la troisième tentative, elle m’envoya M. de Saint-Priest pour négocier avec moi et pour me dire que, par ses refus, elle n’entendait nullement me viser en personne, mais montrer ses sentiments à l’égard des résolutions de Charles X. Saint-Priest me déclara que, si on ne permettait pas à Madame de se rendre à Prague, elle publierait dans les journaux qu’on la sépare violemment de ses enfants. Je m’efforce d’empêcher toutes ces explosions, d’amener le calme et l’entente. Madame ne nous adresse pas la parole et les soirées sont de plus en plus pénibles.