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plus d’un ou deux mots. Nous éprouvions tous une pénible oppression, La Dauphine fit fermer les portes qui étaient restées ouvertes aux regards empressés des valets. Charles X conduisit alors dans sa chambre la Duchesse de Berry, ses deux enfants et la Dauphine, mais après un quart d’heure d’entretien, ces derniers revinrent au salon, laissant au Roi et à Madame le temps d’avoir leur explication.

Assis dans la pièce à côté, les instants nous paraissaient d’une interminable longueur. Il fallait causer et notre conversation s’embourbait à toute minute sans pouvoir aller son train. Tous ceux qui ne connaissaient pas encore M. de Lucchesi le regardaient avec curiosité. De temps en temps, nous entendions la voix de Mme la Duchesse de Berry s’élever avec véhémence. Nous cherchions alors à couvrir le bruit de ses paroles par celui des nôtres pour éviter que les échos de cette scène parvinssent jusqu’aux jeunes princes. Par moments, M. le Duc de Bordeaux et demoiselle jetaient sur M. de Lucchesi des regards expressifs, mais ils surent rester dans une mesure parfaite. D’ailleurs, je trouve que M. de Lucchesi commande la sympathie. On reconnaît bien vite la bonté et l’agrément de son caractère. L’heure qui s’écoula ainsi nous sembla durer un siècle. Deux ou trois fois, la porte qui nous séparait du Roi et de Madame s’ouvrit et se referma. Enfin, la Duchesse parut. « Envoyez-moi Saint-Priest, dit Charles X, » et, tout le monde s’éloignant, il me fit entrer chez lui.

— Je suis resté très calme, me déclara-t-il, elle a passé sur tout avec facilité. Acceptant ce que vous croyez nécessaire pour la tutelle, elle reconnut que l’intérêt de ses enfants l’exigeait. Elle m’affirma qu’elle tenait à une seule chose : venir à Prague. Je lui ai répondu : « Je ne puis sous aucun prétexte mêler M. de Lucchesi à ma famille en l’adoptant à la place du Duc de Berry. D’ailleurs, il me serait impossible de faire accepter le comte à mon fils et à ma belle-fille comme frère. Il est contre mes devoirs d’amoindrir la situation de mes petits-enfants et elle le serait assurément s’ils étaient élevés avec les enfants du comte de Lucchesi. » La Duchesse me répliqua qu’elle serait déshonorée, si elle ne venait pas à Prague, qu’elle ne voulait plus se séparer du Duc de Bordeaux et de Mademoiselle. Je lui ai répondu par du calme. Voyez Saint-Priest et expliquez-lui que le Dauphin est entièrement opposé à ce que Mme la Duchesse de