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— Il faut choisir.

— Je choisis : le patin et le bob de miss Hobinson, et la robe de Mlle Deleuze.

— Donc vous choisissez miss Hobinson.

— Mais non.

— Mais si : vous la prenez à deux contre un. C’est inscrit.

— Naturellement, constata, souriante, Mlle Deleuze : je suis abandonnée par mes compatriotes. Mon père déjà m’a lâchée.

— Pourquoi ce naturellement, mademoiselle ?

— Parce que les Français, qui souvent pensent trop de bien d’eux-mêmes, ne savent dire que du mal de leur pays à l’étranger. C’est pourquoi nous sommes peu compris et rencontrons partout des courants hostiles.

— J’ai parié pour votre costume.

— Oui, c’est une supériorité qu’on nous accorde ; la toilette et aussi la cuisine.

— C’est quelque chose.

— C’est beaucoup. Mais il est permis d’en souhaiter d’autres.

— Ah ! s’il s’agissait d’un concours de version latine !

— Ne vous ai-je pas dit que mon latin me servirait sur mon bob ?

— Je demande à voir.

— Vous verrez. Le latin sert à tout et partout. Et même, pour vous punir de votre incrédulité, je vous enrôle dans mon équipage, bien que vous me trahissiez.

— Dans votre équipage ? c’est dangereux. Me confierez-vous les freins ?

— Non, non, vous en feriez un usage excessif et nous arriverions bons derniers.

L’orchestre, après de sempiternels pots-pourris tirés de Carmen ou de la Tosca, venait de s’adjoindre un jazz-band et commençait un fox-trott. Aussitôt miss Maud et Mlle Nicole furent invitées à danser, celle-ci par le comte Moroni, celle-là par un monsieur fort élégant, haut de taille et bien fait, mais entre deux âges, qui paraissait être un familier du groupe, et qui parut en outre à Maurice Aynaud-Marnière flairer de bien près les belles épaules marmoréennes. Était-il jaloux déjà ? Cependant il avait été convenu qu’on se retrouverait le lendemain sur la patinoire.