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emplacement fut le théâtre, le propriétaire a fait ériger, au milieu du jardin, un piédestal surmonté d’une statuette très mal exécutée. Dans chacune des faces du socle est gravée une inscription latine, rappelant le traité, les noms de Bonaparte, des comtes de Merfeld et de Gallo, ministres plénipotentiaires de l’Empereur et de l’archiduc Charles, commandant l’armée autrichienne.

Dans un petit pavillon décoré de quelques cartes et d’une mauvaise représentation de l’entrée des Français à Leoben, on nous a montré une table peinte à l’huile et sur laquelle fut signé l’acte qui décidait de si grands intérêts.

Avant de nous rendre dans ce jardin, Mme la Dauphine avait reçu une lettre du Roi lui racontant son départ de Prague et les instances qu’avaient faites pour l’y retenir M. et Mme de Beauffremont et surtout M. de Chateaubriand. Charles X ajoutait qu’il était accablé, que, tous les soirs, il avait la fièvre et une toux violente. Le timon de sa voiture s’étant cassé à Weger, le Roi n’avait pu gagner Altenmarkt, il devait donc abandonner l’espoir d’atteindre Leoben le 2. En pareille occurrence, il ne pouvait mieux faire que de s’arrêter à Vordenberg.

Ces nouvelles alarmèrent Mme la Dauphine. Elle me donna l’ordre d’aller au-devant du Roi. Je pris congé d’elle dans le jardin d’Eggenwal où je la laissai avec Mmes de Gontaut et d’Agoult. Je partis à une heure par un temps magnifique qui me permit de contempler les beaux sites, les montagnes et les rochers qu’on aperçoit tout le long de la vallée de la Muhr. J’arrivai à Vordenberg vers trois heures. J’y trouvai déjà quelques personnes de la suite du Roi ; elles étaient venues préparer son logement. Charles X, à ce qu’elles me dirent, était fort souffrant, fort changé.

Pour tromper mon attente, je me promenai dans Vordenberg où se trouvent des mines et des usines de fer. A ce moment-là, toute la population examinait avec des lunettes d’approche des chasseurs intrépides qu’on apercevait poursuivant quelques chamois tout au haut des rochers surplombant le village. Il était environ six heures quand le Roi survint. Il avait dans sa voiture le Duc de Bordeaux, MM. de Blacas et de Damas. Je le trouvai très faible. Sa figure me parut décomposée par le chagrin, la fatigue et la souffrance. A tout instant, son corps était ébranlé par une toux violente. Il gravit avec beaucoup de peine