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— Je ne revivrai pas ces heures-là, conclut-elle avec une souriante mélancolie. Nous étions dans notre classe, après la guerre, deux ou trois jeunes filles tout enfiévrées de savoir. Nous vivions dans un état d’enthousiasme, dans un état amoureux. Et vous, miss Maud ?

La figure de la jeune Anglaise exprima le plus complet effarement :

— Oh ! moi, répliqua-t-elle, ainsi interpellée, je ne vis que dehors. Au tennis, ma raquette aux mains, sur la patinoire, mes patins ou mes skis aux pieds, ou le volant du bobsleigh dans les doigts, je suis, comme vous dites, dans un état amoureux. Mais pas dedans, pas même à la danse. Vous autres Français, vous vivez trop dedans.

— Et vous autres Anglais, trop dehors.

« Me voici à la conférence de Lausanne, soupira à part soi Aynaud-Marnière, qui sans scrupule avait écouté le dialogue. Mais c’est ici qu’on m’en donne la clé. Et qui ? des jeunes filles. La meilleure méthode pour conduire les nations serait-elle de s’initier aux querelles des femmes ? … »

Il avait fermé son livre qui le masquait à demi. Son collègue italien fonça aussitôt sur lui et bon gré mal gré le traîna dans le cercle voisin pour le présenter. Miss Maud Hobinson lui décocha un regard qui évaluait ses performances, comme s’il était capable d’avoir voulu boxer lord Curzon, et Mlle Nicole Deleuze un regard narquois pour n’avoir pas imposé la paix à l’Orient. Incontinent, il fut invité à formuler son opinion sur la supériorité des études ou celle des sports. Il s’en tira à la manière des diplomates, par une petite anecdote qu’il supposait spirituelle :

— Oxford, vous le savez, est une des plus curieuses villes du monde, une cité-bijou comme Bruges ou Nuremberg.

— Comme Avignon, Aix-en-Provence, Carcassonne, proposa Mlle Deleuze qui ne voulait pas que la France fût oubliée.

— Si vous voulez, acquiesça Aynaud-Marnière avec cette condescendance que montrent volontiers nos diplomates dès qu’il s’agit de vanter notre pays. Donc je visitais Oxford sous la conduite d’un élève de Maddalen-College ou de New-College, je ne sais plus, et il me montrait complaisamment les tennis perfectionnés, les parfaits terrains de golf, la petite flottille sur le fleuve, enfin tous les aménagements qui font de la vieille ville