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des Français. La populace de Rosheim est, parait-il, assez mauvaise, et pour parer au danger il propose la création d’une garde civique...

À Strasbourg, les guichets des banques sont assiégés par une foule qui cherche à se débarrasser des valeurs allemandes. Les banques allemandes ont déjà déménagé. La police a donné l’ordre d’enlever aux devantures les portraits de l’Empereur pour éviter des manifestations. Beaucoup d’Allemands font des démarches, afin d’obtenir la nationalité alsacienne... On voit par ci par là des voitures de déménagement : MM. les Allemands font leurs paquets. Les voitures sont rares : Un déménagement pour Stuttgart coûte 3 000 marks. Beaucoup de villas sont à vendre, et les propriétaires strasbourgeois manifestent quelque crainte de la baisse que cette émigration va entraîner sur les valeurs immobilières...

Les journaux tels que la Neue Zeitung et l’Elsässer proclament l’attachement de l’Alsace à la France. J’éprouve une singulière impression à lire imprimé ce que jusqu’à présent on ne se disait qu’à voix basse entre amis. Il y a bien quelques partisans de la neutralité ayant à leur tête un docteur alsacien : ils ont essayé de coller de petites affiches rouges avec une proclamation. Au bout d’une heure, elles étaient toutes arrachées...

Après souper, étant remontés, Jeanne et moi, dans notre chambre d’hôtel, nous nous mettons sur le balcon pour voir déboucher des boulevards et passer sous nos fenêtres un millier de gamins donnant le bras à des filles, quelques-uns avec des lampions, faisant escorte à un jeune garçon qui porte fièrement le drapeau tricolore. Les voix fraîches au timbre clair qui chantent librement l’hymne national si longtemps proscrit, nous font vibrer d’émotion. Parmi les manifestants, quelques-uns seulement savent les paroles, la plupart se contentent de chanter la, la, la...

Le cortège s’étant enfoncé dans la Grande Rue, nous nous pressons de prendre la queue pour nous rendre chez nos amis H... qui nous ont invités à passer la soirée chez eux... Notre ami vient de laver un vieux drapeau tricolore qu’il fait sécher autour du poêle. Il me raconte que la plupart des communes ont conservé leurs drapeau d’avant 70. Lors d’une tournée de collectionneur qu’il avait faite dans le Haut-Rhin, on les lui avait montrés, Soigneusement pliés dans des armoires... « Ils serviront encore, » lui avait-on dit.