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On essaie maintenant de faire de la réclame auprès du peuple pour une Alsace neutre, et ce sont, parait-il, les cercles protestants qui lancent cette idée ; mais cette solution de la dernière heure n’a aucune chance d’aboutir. Personne n’en veut.


18 octobre. — Le gendarme continue à faire de la propagande pour l’emprunt de guerre, traitant de sornettes les bruits de défaite qui circulent au village : « Jamais nous ne rendrons l’Alsace ! »


19 octobre. — Les Hongrois ont fêté je ne sais quel anniversaire à l’auberge de St-Nabor. La musique des tziganes en était. Tout à coup un des officiers a ordonné de jouer la Marseillaise, et aux sons de l’hymne de la liberté, ils se sont rués sur les portraits de la famille impériale, les ont lardés à coups de sabre et en ont jeté les débris par la fenêtre.


20 octobre. — Aujourd’hui nous avons été surpris par une nombreuse société de nos amis de Selestat. Nos hôtes sont étonnés de nous voir si convaincus de la paix imminente et de la prochaine arrivée des Français. Je leur propose même le pari qu’avant un mois ces derniers seront ici. A Selestat on n’est pas aussi optimiste ; aussi sont-ils stupéfaits de mon assurance. Cette stupéfaction devient de l’ahurissement quand, arrivés dans mon atelier, je leur montre les sujets patriotiques auxquels je travaille : une grande composition représentant l’Alsace réveillée par les accents de la Marseillaise ; une autre assez analogue, une Alsacienne surprise à son réveil de voir la plaine d’Alsace colorée en rouge, blanc, bleu. Ce n’est pas bien méchant, mais mes visiteurs en sont impressionnés.


21 octobre. — « ... Voilà que la Hongrie est séparée de l’Autriche ! » dis-je à un sous-officier hongrois. Il me répond ; « Mais oui, nous sommes de nouveau indépendants, avec notre armée à nous, nos finances. C’est dommage que nous n’ayons pas obtenu cela il y a dix ans ; alors nous n’aurions pas été entraînés dans cette malheureuse guerre. »

Malheureuse guerre ! détestable guerre ! Voilà ce qu’on lit maintenant dans les journaux ; mais quand on parcourt d’anciens numéros de ces mêmes feuilles, comme cela m’est arrivé ce matin, on est estomaqué de l’impudence de leur langage.