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8 octobre. — Ce matin, Victor Laugel est venu de Strasbourg, pour voir ses sœurs. On ne croit pas en général que les Allemands accepteront les conditions de Wilson. Ils continueront la guerre, et, pour compléter leurs effectifs, ils se rabattront sur les hommes de cinquante ans. En attendant, on remet les abords de la ville en état de défense, tout comme en 1914 ; on y établit des batteries en plein champ...

Ce qui préoccupe beaucoup les esprits, c’est la question de savoir si les Allemands pourront rester ici après la désannexion. La plupart de nos compatriotes seraient d’avis, au dire de Victor, de les expulser tous, et de confisquer leurs biens. Je ne suis pas aussi radical. Si l’on veut sévir, qu’on sévisse contre les Alsaciens qui ont dénoncé leurs compatriotes, ou manifesté en public des sentiments allemands qu’on ne leur demandait pas. Il est vrai qu’il sera toujours malaisé de démêler les motifs qui les ont fait agir. Une fois qu’on sera entré dans la voie des enquêtes, il sera très difficile de s’arrêter. Qui nous dit par exemple qu’on ne fera pas un crime aux nombreux fils de familles alsaciennes, qui ont été forcés de combattre dans les rangs allemands ? Je ne dis pas que cela sera, mais cela se pourrait.

Mon ami B... vient me voir. L’arrivée prochaine des Français le met en joie : « Mais, dit-il, qu’ils ne viennent pas avec leurs uniformes de poilus ! C’est en pantalons rouges qu’ils doivent défiler sur la place Kléber, et pas autrement ! » Cependant il ne croit pas que cette entrée se fera avant Noël : « Ces sacrés Schwobs, il faut qu’ils soient encore plus fouettés ; sinon, ils ne croiront pas qu’ils ont été battus ! »

Ensuite, c’est Muller : « Sont-ils abjects et dégoûtants dans la défaite ! Et toujours aussi jésuites ! Wir haben uns zu einer Friedensaction entschlossen. Ils appellent Friedensaction une démarche qui est tout simplement l’aveu de leur défaite. Les français sont encore à 150 kilomètres de leur frontière du Rhin, du moins à certains endroits ; et les voilà qui geignent et qui canent, comme si tout était perdu. Perdus, ils le sont pour nous qui voyons clair ; — mais leurs Berichte sont toujours triomphants ; alors, pourquoi tout à coup ce désespoir ? Les Français étaient autrement crânes, quand les Allemands étaient aux portes « de Paris... »


13 octobre. — Les lettres des soldats qui sont dans la mêlée