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qui sait user avec modération de la victoire ? Elle se leva sous un prétexte, et sa belle taille, ses bras nus, sa grâce, cet ensemble de beauté que peu de femmes possèdent à un point de perfection aussi grand, fut remarqué, admiré, même par sa rivale ; Ô femmes, que vous êtes séduisantes et frivoles, que votre cœur est ambitieux ! Il n’y a point de femme qui ne prit un vice comme vêtement, s’il pouvait lui donner un triomphe. »

Enchanté de la réflexion finale qui eût ravi Benjamin Constant, bien que le récit de son cousin enregistrât l’unique défaite de sa cruelle amie, Mme Récamier, Maurice Aynaud-Marnière releva les yeux pour interrompre sa lecture au bon endroit. Quelle ne fut pas sa surprise de voir se dérouler devant lui la scène même qu’il venait de goûter dans son livre ? Un groupe nombreux s’était formé dans son voisinage immédiat. Or, une jeune femme ou une jeune fille, — aujourd’hui l’on ne sait plus au juste, — en était visiblement le centre sans l’avoir peut-être cherché. Elle avait un de ces visages dont on ne sait s’ils plaisent par les traits eux-mêmes ou par l’expression, tant l’activité spirituelle leur communique d’agrément et les fait rayonner. Blonde ou plutôt châtain clair avec des yeux noirs, — et ce contraste donne au regard un éclat velouté pareil à celui d’une fleur au soir tombant, — elle agitait ses lèvres minces, légèrement crayonnées de rouge, — selon une coutume dont la jeunesse devrait bien se passer, — montrait de jolies dents humides, souriait, donnait un tour à ce qu’elle disait rien qu’en y prenant elle-même le plus vif intérêt. Elle racontait un voyage en Hollande au cours duquel, juchée sur un escabeau, tandis que des servantes trop diligentes inondaient de seaux d’eau le parquet, elle avait regretté la poussière, la bonne poussière oubliée sur les vieux meubles.

— Oui, tous les Français aiment les vieilleries, lui lança la grande Diane du restaurant qui, ne pouvant demeurer en place, s’était levée pour marcher.

Celle-ci montrait, debout, un sculptural développement de lignes, peut-être un peu trop athlétiques. Les attaches du cou étaient fortes, les beaux bras trop musclés, les mains grandes et rouges, la poitrine large, mais avec des seins peu accusés. Les jambes étaient d’un galbe parfait. Elle avait cette beauté des animaux libres que nulle entrave n’a gênés, et ce teint lisse, uni, qui paraît être le partage des femmes et des jeunes filles