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je ne veux pas de cette image. Du reste, il est facile d’y remédier. » Et il arrache la couverture.

A Obernai, les Hongrois sont les héros du jour, l’Allemand sent confusément qu’il y a un courant de sympathie qui les porte vers les Alsaciens ; il se méfie d’alliés venus soi-disant pour rétablir ses affaires, et qui font cause commune avec nous. A ce propos, mon ami me raconte une scène amusante dont il a été témoin hier soir.

II se trouvait à l’auberge avec trois fonctionnaires allemands. Entre tout à coup un maréchal des logis hongrois, grand type d’allure martiale, tête intelligente, qui s’assied à une table non loin d’eux en commandant une chope. Les Allemands brûlaient du désir de lier connaissance avec l’allié. « N’est-ce pas que honved veut dire « territoriale ? » demande l’un d’eux pour entrer en conversation. — Honved signifie « réserve, » répond assez sèchement le Hongrois. — Eh bien ! territoriale ou réserve, toujours est-il que vous vous êtes bravement battus, reprend l’Allemand. — Possible ! Mais nous ne savons ni pour qui ni pourquoi. » Mouvement de stupeur chez les Allemands : « Mais enfin, vous avez pourtant aidé à défendre la monarchie autrichienne. » Là-dessus, le Hongrois qui, selon toute apparence, avait fait ses études, car il possédait suffisamment l’allemand, se décide à parler : « Il y a, dit-il, des mariages heureux, mais il y en a aussi de malheureux. Tel celui qui unissait la Hongrie et l’Autriche. Nous avons été exploités par l’Autriche ! » Aussitôt l’Allemand d’interrompre : « Vous ne nierez toutefois pas que sous le gouvernement de l’empereur François-Joseph, la Hongrie était devenue florissante ? — L’empereur François-Joseph ! Il eût mieux valu pour nous si, au lieu de mourir à l’âge de quatre-vingt-six ans, il était mort à l’âge de six ans. La Hongrie s’en porterait mieux. Mais au point où en sont les choses, nous n’avons plus qu’un espoir, et cet espoir, c’est la France ! Quant à ce scélérat de Tisza, ce vendu, le gibet est de jà dressé où on le pendra, quand le moment sera venu de régler les comptes. Et ce moment viendra. »

Les Allemands, interdits de cette sortie, piquaient le nez dans leurs verres. Alors, le Hongrois continue : « Quant à moi, je me félicite que les hasards de la guerre m’aient fait échouer dans un pays dont le monde entier s’occupe en ce moment. Nous en a-t-on débité des sornettes sur l’Alsace ! On nous disait