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les prés de Saint-Léonard, les honveds font l’exercice. Un lieutenant, assis sur le talus du ruisseau, surveille la manœuvre. Comme je m’arrête pour regarder, il s’approche de moi. « Vous ignorez les beautés du Parademarsch, lui dis-je. — Mais non ! nous le pratiquons aussi ; seulement, ce terrain ne s’y prête pas. Du reste, nous sommes un régiment de pionniers, et nous allons prochainement exécuter des travaux très importants sur le Buhl. » Ils ont avec eux quatre sous-offset un officier détachés de l’armée allemande pour leur enseigner le maniement d’un nouveau minenwerfer. Tout en m’accompagnant au bout du chemin, le lieutenant me confie ses embarras pour assurer la subsistance du mess des officiers dont il est responsable. Il voudrait pouvoir se procurer sous-main toutes les semaines quelques kilos de viande. Je ne puis lui donner grand espoir. Voici trois semaines que nous n’en avons pas sur notre table, et on parle de la supprimer complètement pendant trois mois.

Près du moulin, les Hongrois ont envoyé paître leurs belles vaches blanches aux longues cornes. Appuyés contre des saules dans des poses de bergers de la Puszta, deux ou trois soldats les gardent : par ce beau soleil d’automne, le tableau est charmant. Un peu plus loin, quelques autres poussent devant eux un troupeau de cochons noirs comme de l’encre. Pour peu que la guerre continue et avec les difficultés du ravitaillement, une armée ressemblera de plus en plus à une tribu nomade.

Les rues d’Obernai sont devenues intéressantes. A côté de l’ancienne garnison allemande, il y a maintenant les Hongrois, mais les Bundesbrüder passent les uns à côté des autres sans se saluer, on sent qu’ils n’ont aucun contact. En revanche, je crois remarquer que les Hongrois ont complètement évincé leurs alliés auprès du beau sexe. Un de leurs officiers, tout pimpant et la badine à la main, lance des œillades à une plantureuse Obernoise en corsage rouge qui se tient à une fenêtre ; d’autres petites Obernoises entourent de simples honveds et ont l’air de s’entendre parfaitement avec eux.

J’entre chez mon ami Blickast le libraire. « Eh bien ! lui dis-je comment s’arrange-t-on chez vous des Hongrois ? — Ma foi, très bien, ces gens pensent comme nous. A l’instant, l’un d’eux venait faire emplette d’un cahier. Je lui en ai présenté un dont la couverture était ornée d’un portrait du kaiser. — N’en avez-vous pas d’autres ? me dit-il. — Non, je le regrette. — C’est que