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Le soir, ma belle-sœur est revenue de Strasbourg où l’on sent déjà comme un souffle de liberté. Les Alsaciens se promènent la tête haute et s’imaginent déjà être à peu près Français.


26 septembre. — Le colonel est venu frapper à ma porte et m’a demandé de faire son portrait ; j’accepte, et nous prenons jour pour le lendemain.

Le colonel est de Presbourg, où habite sa famille. Ils ont une institutrice française depuis de longues années, ses enfants parlent. parfaitement le français... « Beaucoup mieux que moi, ajoute-t-il, qui, en somme, ne m’en sers que quand nous sommes réunis à table. »

« La Hongrie, dit-il, est un riche pays qui avait un grand avenir : malheureusement, cette guerre nous a été néfaste : elle a tout mis entre les mains des Juifs qui, auparavant, jouaient déjà un assez grand rôle... » Je l’interromps : « C’est comme ici ; chez nous, les Juifs ont aussi tiré un admirable parti des circonstances. — Je sais bien, mais incomparablement moins que chez nous. En Hongrie, ils sont les maîtres absolus du commerce, de la presse, du gouvernement, bref de tout... Les Allemands sont détestés et je dois dire avec raison. Lors de l’invasion des Roumains en Septimanie, nos Alliés sont venus soi-disant à notre secours, mais ces prétendus libérateurs se sont conduits d’une façon odieuse, saccageant et incendiant tous nos villages que pourtant les Roumains avaient épargnés ; exactement comme s’ils avaient été en pays ennemi ! — En Alsace, ils ont agi de même, et ils sont cause du revirement qui s’est produit, car je ne vous cache pas que tout le pays attend avec une impatience non déguisée l’arrivée des Français. »

Le colonel aime beaucoup les Français. Leur malheur, me dit-il, est d’être liés aux Anglais, qui, somme toute, ont toujours été leurs ennemis. Il est vrai que, dans les circonstances actuelles, ils ne pouvaient agir autrement. Il est épouvantable de voir cette pauvre France obligée à un sacrifice aussi sanglant, mais c’est elle qui est notre adversaire le plus sérieux. »

Nous discutons ainsi pendant près d’une heure, le colonel très heureux de se documenter près de moi sur la question d’Alsace, qui est le nœud de cette guerre, et nous nous quittons les meilleurs amis du monde.

Après dîner, le beau temps m’incite à aller à Obernai. Sur