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LES HONGROIS EN ALSACE

22 septembre. — ...Je reprends le chemin de Saint-Léonard. Toutes les gares du parcours sont occupées par des soldats hongrois. Un sous-off allemand, qui lit debout, appuyé contre la portière de notre compartiment, un bouquin : Kant nnd der Krieg, rigole en les voyant : « En voilà qui vont ouvrir les yeux quand ils seront sur le front de l’Ouest ! Les Français leur en feront voir de toutes les couleurs ! Oh je ! Oh je ! »

... Toute la famille m’attendait à la gare et c’est à qui me donnera des détails sur l’entrée des Hongrois dans la bonne ville de Bœrsch. Tout le village était dans la rue, les enfants en chemise, hommes et femmes surpris au milieu des apprêts de leur toilette de dimanche avaient dégringolé les escaliers et écarquillaient les yeux au défilé bizarre de ces Ziginer dont l’aspect était si différent des troupes allemandes. Ce n’était qu’une avant-garde : on attend les fourriers cet après-midi.

La cour de Saint-Léonard offre un coup d’œil des plus pittoresques. Autour de la fontaine un fouillis de petites voitures ; accroupis dans l’herbe, des bœufs des Carpathes aux longues cornes recourbées. Les soldats, pour la plupart de vieux territoriaux grisonnants, marquent assez mal : sous leurs uniformes très variés de coupe et de couleur, mais tous également crasseux, ils ressemblent plutôt à des bandits qu’à des militaires. Tous ont une expression mélancolique, et la petite pluie fine qui s’est mise à tomber n’est pas pour les mettre en joie... J’évoque en rentrant chez moi le souvenir des nombreux cantonnements qui se sont succédé depuis quatre ans, Wurtembergeois, Prussiens, Bavarois et maintenant pour la clôture : des Magyars.

... Tout à coup la bonne nous annonce l’arrivée des fourriers. Je vais au-devant d’eux : ils sont trois, très différents de type et de race. Le porte-parole est un gros blond, il parle l’allemand en articulant chaque syllabe et enroulant les r. Ses compagnons sont, l’un un grand noir aux traits réguliers, l’autre aussi grand, a une physionomie particulière, le teint verdâtre et bourgeonné, les pommettes saillantes, les yeux en coulisse : un vrai type de Hun. Tandis que les deux premiers m’expliquent avec volubilité le but de leur démarche, le Hun reste silencieux. Il s’agit de loger ici 200 hommes et 450 chevaux pour une durée