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doute pour personne en Europe, — mais dans la fin très prochaine des hostilités. Alors qu’en France et jusque dans les États-majors, tant de personnes croyaient encore à une nouvelle campagne d’hiver, l’Alsace savait à quoi s’en tenir : elle voyait le découragement des Allemands et l’effroyable désordre qui régnait à l’arrière des armées ; sous ses yeux gisait l’organisation allemande dont tous les ressorts étaient maintenant brisés, la formidable machine n’était plus que ferraille. Tandis que les soldats continuaient de se battre avec une bravoure qui ne s’est presque jamais démentie, la nation était frappée à mort.


L’ALSACE EN SEPTEMBRE 1918

18 septembre 1918. — En ouvrant son cours ce matin dans la classe de Paulot, le professeur leur a dit : « Beaucoup d’entre vous se réjouissent de voir bientôt le drapeau tricolore flotter sur le Kapellthurm, mais nous n’en sommes pas encore là... » Malgré ce petit discours, toute la classe est convaincue que le professeur attend cet événement avec non moins d’impatience que les élèves... Quant au docteur B..., le professeur de français, il leur enseigne des petites phrases « pour que quand les Français arriveront, vous sachiez au moins leur répondre. » Décidément, il y a quelque chose de changé !

Ce matin, le jeune Dubois m’écrivait de Kovel en Russie : « Une nouvelle qui vous surprendra, est que je fais mes paquets pour aller sur le front de l’Ouest. Voilà que, nous autres Alsaciens, on nous juge dignes de ce front : on a de nouveau confiance en nous... Je croirais plutôt qu’on fait de nécessité vertu... »

Mon ami B... que je rencontre sur la route me dit : « Les voilà sur le bord de l’abime. — En effet, mais ils ont quelque mal à se faire à cette idée. — Pas tant que ça ! je me suis entretenu dernièrement avec quelques commerçants allemands : ils voient clair. »


Vendredi, 30 septembre. — Voyage à Strasbourg. Dans le train, M. H. en uniforme de sergent, chargé d’un gros havresac. Il me parait bien vieilli et l’air si triste qu’il fait pitié. Il vient aussitôt à moi : « Dites-moi, M. Spindler, si ça ne va pas finir bientôt. Je ne puis vous dire combien le métier que je fais me dégoûte ! Je retourne en Russie. Mais n’est-ce pas que ça va bien ? — C’est ma conviction ! — Ah ! quelle veine ! » Et il