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chose singulière, la rédaction même de son journal .porte la trace du changement qui s’opère au fond de son esprit : comparez les dernières notes aux premières, on y sent je ne sais quoi de plus souple, de plus libre, de plus intimement français. De quel cœur maintenant il partage la foi et l’espoir du peuple alsacien ! Cette dernière partie du journal n’est pas seulement la plus passionnante, elle est aussi la plus instructive. Elle mériterait d’être publiée intégralement, car elle abonde en détails qu’il faudra recueillir, si l’on veut un jour retracer l’histoire du moral allemand pendant la guerre. Ces croquis pris sur le vif, ces propos saisis au vol par un observateur qui a l’oreille fine et la mémoire sûre, mettent en lumière l’état de désagrégation où était tombée l’Allemagne dès ses premiers revers. Des menus faits qu’il rapporte, l’auteur du journal se garde de tirer des conclusions générales, il joint seulement quelques réflexions à ses anecdotes, mais il y met toujours tant de bonne foi, un si vif désir d’impartialité qu’on le croit sur parole. On ne donnera ici que les plus significatives de ces notes, elles suffiront, pensons-nous, à composer un tableau assez imprévu.

Un curieux épisode tient une grande place dans le journal, c’est la présence en Basse-Alsace de troupes hongroises vers la fin de la guerre. Quand après avoir engagé des négociations secrètes avec le Gouvernement français, l’empereur d’Autriche se vit obligé de fournir à l’Allemagne des gages de sa fidélité, il dut envoyer quelques éléments de son armée sur le front occidental. Ce fut ainsi que des divisions de honveds vinrent cantonner au pied des Vosges. On doutait, non sans raison, de leur ardeur à se battre contre les Français, on les avait donc envoyées dans un « secteur de tout repos. » Puis, comme l’empereur d’Autriche avait à expier une phrase particulièrement compromettante touchant les droits de la France sur l’Alsace-Lorraine, on avait jugé bon de prouver aux Alsaciens qu’à Vienne comme à Berlin, nul ne songeait à reconnaître ces prétendus droits. Il advint naturellement qu’excédés de la guerre, vite édifiés sur les véritables sentiments des Alsaciens, les honveds ne perdirent pas une occasion de montrer en quel mépris ils tenaient leurs alliés vaincus. De leur côté, les Alsaciens, charmés de ne plus avoir affaire à des troupes allemandes, traitèrent les Hongrois en messagers de la paix, — bien qu’ils pillassent les champs de pommes de terre. Cette occupation de la Basse-Alsace par les Magyars fut comme une transition du régime allemand au régime français. M. Spindler la décrite dans une suite de scènes pittoresques et d’amusantes conversations.

Ce qui frappera surtout dans ces récits alsaciens des mois de septembre et octobre 1918, c’est l’imperturbable confiance des Alsaciens, non dans l’issue de la guerre, — alors elle ne faisait plus