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d’étonnement ; les mœurs si nouvelles, si positives, si libres, le blessent outre mesure. Il est déjà fort répandu, plus qu’il ne le voudrait, ainsi que son patron, sous le rapport de son art. Il se pourrait bien, comme vous le dites, que ce voyage ne portât pas tous les fruits qu’il en attend ; mais on conçoit facilement tout l’attrait qu’a dû lui offrir une semblable course, faite sans grands frais. C’était une occasion qui ne se représente pas deux fois dans la vie, et quoique je sois fâchée de le voir si loin de nous, je ne saurais le désapprouver.

Quand donc, dearest, vous verrai-je travailler pour travailler, en prendre à votre aise et ne pas être au volume ? Vous feriez de si belles, de si bonnes choses alors ! Je ne sais si Frapesle vous inspirera ; je le désire. Vous vous y trouverez bien bourgeoisement. Il y a longtemps que vous n’y êtes venu : n’allez pas faire de l’imagination à propos de ce voyage, ce qui ne servirait qu’à ternir la réalité, déjà si pâle !

Certainement oui, il faudra sortir Ivan ; mais rien ne presse encore. Puis, où le mettre convenablement ? Ma fortune ne répond pas à mes idées, et en cela, je subis le sort de bien des gens en France. Je dois donc employer mon intelligence à trouver le moyen de m’approcher le plus possible de mon idéal. Je revendiquerai les bénéfices de l’éducation publique, mais seulement quand je commencerai à ne plus craindre ses contagions.

Adieu, caro, pensez au pauvre Auguste, qui est stupéfait des mœurs du peuple parmi lequel il vit maintenant. Heureusement, le commandant n’a pas la goutte aux mains, ce qui lui permet de presser les vôtres avec cordialité. Merci de vos caresses à mes enfants ; puissent-elles leur porter bonheur !


Balzac est derechef parti pour l’Italie, pour le compte de son ami Guidoboni-Visconti ; il s’arrête à Milan, à Venise, à Florence et ne rentre à Paris que le 3 mai. Il écrit aussitôt à Mme Carraud :


Cara,

J’arrive d’Italie, où je suis resté deux mois et demi pour des affaires sérieuses, à la conclusion desquelles il y avait de l’argent pour moi. Je n’avais plus d’autre moyen d’avoir ce qui m’était nécessaire. Ce serait trop long à vous expliquer. Mais en arrivant, j’ai pensé à Borget, et comme en ce moment