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Et Balzac termine sa lettre en annonçant qu’il espère pouvoir bientôt « travailler en paix une quinzaine à Frapesle ; et n’est-ce pas quelque chose de curieux que j’aille y faire l’ouvrage que j’y commençai la première fois que j’y suis venu, César Birotteau [1]. » Enfin répondant à la question de son domicile : « Mon adresse, écrit-il, n’a jamais varié : toujours Mme veuve Durand, 13, rue des Batailles. » C’est là que Mme Carraud lui adresse sa réponse le 18 janvier 1837 :


Quoi ! mon pauvre Honoré, les cinquante mille francs se sont fondus, comme cette neige qui couvrait naguère le gazon sous ma fenêtre ? Vous n’êtes pas plus tranquille qu’auparavant. Que je vous plains, non de devoir encore, vous devrez toujours, mais de ne pas trouver en vous la force de résister au premier caprice que vous apporte le moindre relâche dans vos travaux ! L’indépendance n’est donc rien à vos yeux que vous ne craignez pas de la sacrifier à la moindre bagatelle, à un canif, à la petite gloriole de voyager en poste ? Vous m’avez rendue bien indulgente pour les fautes qui ternissent la vie de tant de pauvres femmes, puisque vous, homme d’intelligence et qui concevez la vie, vous êtes plus faible qu’elles, en ce que l’attrait auquel vous cédez n’est pas aussi puissant que celui qui les entraîne. Pourtant, caro, puisque vous sentez l’importunité de la dette, ne laissez pas ce supplice au pauvre Auguste, qui, aujourd’hui encore, m’écrit de tacher d’acquitter celle qu’il a laissée. Je le sais trop délicat pour vous parler lui-même de tout cela ; mais moi qui n’ai pas d’argent, et qui pourtant n’en mange pas pour ma satisfaction personnelle, loin de là, je ne puis lui ôter ce tourment de la conscience qu’en faisant un appel à votre justice envers lui. Tâchez donc de verser mille francs, d’ici le 1er février, afin que tout cela ne revienne pas à sa famille, ce qui, je le sais, lui serait souverainement désagréable. Si je pouvais me procurer mille francs, je ne vous dirais rien de cette affaire, mais comme, moralement, vous seriez la première personne que je prierais de lui faire cette avance, faites donc, par justice, ce que vous feriez par générosité, si vous n’étiez son débiteur, et que votre pauvre ami, dans les savanes lointaines, ne traîne pas un remords, un souci après lui.

J’ai peur, comme vous, qu’il ne rapporte nombre de désenchantements de ce nouveau monde ; tout lui est un sujet

  1. César Birotteau ne parut qu’en décembre 1837.