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Adieu, il faut que je fasse courir en ville pour porter cette lettre. Bon courage et bonne santé. Il faudra, une fois vos deux volumes faits, vous plonger dans un bain de fleurs. Mille bonnes pensées, que le ciel vous délivre de l’obsession qui pèse sur vous !

Votre bien dévouée de cœur.

ZULMA.


Sur ces entrefaites, Mme Carraud tombe malade et Balzac voyage en Italie, séjourne à Turin, pour les affaires de son ami le comte Émile Guidoboni-Visconti. La correspondance s’interrompt pour reprendre le 9 octobre 1836.


Mon cher Honoré,

Vous avez su que peu s’en est fallu que vous eussiez une fleur de plus à jeter à une amie perdue. J’ai été bien malade, et quoique ce ne soit plus qu’un souvenir, pourtant il m’en est resté un redoublement de susceptibilité, une délicatesse appliquée à toute chose qui me constitue dans une souffrance presque permanente et que je n’ai pas toujours l’art de dissimuler. C’est un tort qui ne peut trouver son excuse que dans la préoccupation que me donne l’état maladif de mon petit Yorick. Le pauvre enfant est accablé d’une fièvre intermittente, qui jusqu’ici résiste à toute action. S’il peut se remettre, je tâcherai de faire tête à cette nouvelle faiblesse, qui prend une allure stable, faite pour effrayer ; et où serait donc le bénéfice de l’âge, si l’ossification n’arrivait pas en son temps, si les mille répugnances de la jeunesse subsistaient toujours ?

Votre dernière lettre, restée en la possession d’Auguste, qui me promit d’y répondre, m’a vivement affectée [1]. J’ai vu une large plaie dans votre cœur, et j’ai pleuré avec vous cet être angélique dont vous avez ignoré les plus grandes souffrances. Honoré, n’y a-t-il pas eu réaction en vous, chez vous ? Je n’ai aucun des titres qu’elle avait pour vous parler, mais aussi je ne suis arrêtée par aucune des pudeurs qui la firent se taire si souvent. Malgré votre prière de ne pas évoquer un tel sujet, je vous demanderai si, le jour où un coup si fatal vous fut porté, vous ne comprîtes pas qu’il y avait autre chose dans la vie

  1. Lettre perdue dans laquelle Balzac annonçait A Mme Carraud la mort de Mme de Berny survenue le 27 juillet 1836, à la Bouleaunière,