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des incendies, des raids, tout cela sous le prétexte apparent de riposter aux pogroms de Belfast, mais bien plutôt pour provoquer l’Orangisme, par une savante combinaison du boycottage économique et de la guérilla de frontières, et par delà l’Orangisme, l’ennemie héréditaire, Albion.

Pendant plusieurs mois la guerre civile couve ainsi, menaçante. De part et d’autre on parade, on fait le coup de feu, mais l’effusion de sang reste minime ; on hésite à déchaîner le carnage. La tragédie s’accompagne de comédie, et le burlesque tient encore le pas sur le drame. Les forces régulières se défendent plus qu’elles ne ripostent. Le Gouvernement ne se décide pas à répondre aux coups par les coups. Il a mésestimé au début l’influence, la nocivité des rebelles ; il croit encore que le temps travaille en sa faveur, et il temporise, sûr pourtant d’avoir pour lui la majorité du pays. Il est craintif dans l’exercice de l’autorité, parce que l’autorité, sous les Anglais, avait en Erin trop mauvais renom. Il ne veut pas inaugurer la liberté irlandaise par le glaive, il redoute de faire des « martyrs, » et prétend vaincre par la patience, la modération, la force morale, comptant que le pays, éclairé et irrité par les violences républicaines, finira par réagir de lui-même : l’éducation politique par la rébellion !

Et surtout il a en lui cette faiblesse de n’être que « provisoire, » en attendant la ratification définitive du traité par le peuple. Il lui faut donc au plus tôt des élections, que les rebelles, conscients de ce qu’elles leur feront perdre, s’obstinent à refuser ou s’apprêtent à saboter. Enfin, en mai 1922, Collins arrive à conclure avec de Valera un arrangement en vue d’un appel au pays : sans interdire les candidatures indépendantes ou isolées, on présentera au corps électoral une liste commune de candidats officiels où partisans et adversaires du traité figureront en même nombre que dans la Dail actuelle. Les élections ont lieu sur cette base en juin, et malgré cette « coalition » favorable aux irréductibles, malgré la pression violente exercée par eux sur les électeurs, ils subissent comme il était prévu une grosse défaite : sur 126 élus ils ne sont que 36. Si la politique d’atermoiements de Griffith et de Collins a été néfaste pour la cause de l’ordre, elle leur a du moins permis de procéder, malgré l’opposition des républicains, à une consultation populaire, qui donne une belle majorité et une nouvelle autorité au Gouvernement provisoire, au parti de la paix et du traité.